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sa fabrique, vivant de peu, étendant de plus en plus ses constructions, élargissant le cercle de ses opérations. Quatorze années plus tard, il revendait cette première fabrique vingt-quatre fois le prix qu’elle avait coûté, et dans cet intervalle le capital primitif s’était multiplié cinquante-sept fois. A l’exposition de 1862, M. Platt, membre du parlement, grand industriel, offrait à Henry Bessemer 50,000 livres sterling (1,250,000 fr.) pour une part d’un cinquième dans son brevet. Cette proposition était acceptée, et M. Platt retirait, en peu d’années, 250,000 livres sterling (6,250,000 fr.) de cette opération.

Napoléon III avait la mémoire tenace et l’amitié fidèle. L’exposition de 1867 lui fournit l’occasion de le prouver à Henry Bessemer. Il insista pour que son nom fût porté sur la liste des étrangers auxquels il conférait la haute distinction de grand’croix de la Légion d’honneur, sous la réserve usuelle de l’assentiment de leur gouvernement. M. Bessemer, touché de cette marque de la haute estime en laquelle le tenait un souverain qui lui avait donné déjà de si nombreux témoignages de sympathie, s’empressa de solliciter de l’ambassadeur d’Angleterre à Paris l’autorisation nécessaire. Elle lui fut péremptoirement refusée. Une seconde requête, adressée au gouvernement anglais, n’eut pas un meilleur sort. L’irritation que lui causa cet injustifiable refus réveilla en lui les amertumes passées et le décida à livrer à l’appréciation publique les procédés dont il avait été victime à son début dans la vie et le déni de justice du ministère des postes.

Au point où il était arrivé, il pouvait d’ailleurs se passer du concours et de l’appui de son gouvernement. Son invention se propageait en Europe et en Amérique avec une étonnante rapidité, et la fortune le dédommageait amplement de ses rigueurs passées. Avant l’adoption de ses procédés, l’Angleterre produisait annuellement 50,000 tonnes d’acier, dont le prix se maintenait entre 50 et 60 livres sterling la tonne. En 1877, cette production atteignait 750,000 tonnes, dont le prix était ramené à 10 livres sterling. L’économie de combustible dépassait 3,500,000 tonnes de charbon. A l’étranger, la production s’élevait à 2 millions de tonnes d’acier. On estime à 20 millions de livres sterling (500 millions de francs) l’économie annuelle que l’industrie réalise par l’emploi des procédés de Bessemer, et à 170 millions de livres sterling (4,250 millions de francs) celle qui est résultée, pour l’Angleterre seule, de l’usage des rails Bessemer.

La France, l’Autriche, l’Allemagne conférèrent à Henry Bessemer les plus hautes distinctions, sans les accompagner cette fois de la réserve usitée, et le gouvernement anglais, cédant enfin, bien