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mission à Pétersbourg, se mettait volontairement en quarantaine ; elle entendait se renfermer dans une froide réserve tant que son gouvernement ne serait pas dignement reconnu. La France, avec la meilleure volonté du monde, ne pouvait pas interpréter dans un sens amical la présence de l’empereur d’Autriche à la cour de Prusse dans un moment où les trois cabinets du Nord lui témoignaient, par leurs objections et leurs retards, un mauvais vouloir manifeste.

L’abstention de la légation aux fêtes que Frédéric-Guillaume donnait à son hôte fut vivement commentée. La petite diplomatie, toujours avide de commérages, grossit l’incident : les uns y voyaient l’indice de projets agressifs ; d’autres prétendaient que M. de Varenne avait, en violation de ses instructions, renvoyé les billets ; qu’il l’avait fait grossièrement, sans un mot d’écrit ; ils en concluaient qu’il avait manqué de respect au roi, et que sa conduite était celle d’un malappris.

M. de Varenne laissa libre cours à ces commentaires ; ils lui prouvaient que sa démonstration avait porté coup. L’important pour lui était de savoir que le gouvernement prussien avait tiré de l’incident une salutaire moralité.

M. de Manteuffel, impressionné par notre attitude, devenait nerveux ; il aurait voulu se mettre au plus vite en règle avec la France, et les réponses qu’il attendait de Pétersbourg n’arrivaient pas ; il récriminait contre l’obstination de l’empereur Nicolas, et se donnait le mérite de la sagesse et de la modération. Il trouvait subitement que, du moment qu’on acceptait l’empire, on aurait dû le reconnaître sans retards et sans restrictions. Il avouait, toutefois, que le roi et le prince de Prusse n’étaient pas précisément dans ces idées, mais il ajoutait qu’il espérait les convertir et les soustraire à l’influence fâcheuse de l’Autriche. Comment savoir au juste lequel des trois gouvernemens était pour la France le plus malveillant ! ils se chargeaient réciproquement. Au fond, leurs préventions étaient les mêmes : ils ne pouvaient se persuader qu’un successeur de Napoléon ne fût pas un empereur guerrier, impatient de prendre la revanche de Waterloo.

Les cours du Nord voulaient bien reconnaître l’empereur, mais il leur répugnait de le traiter d’égal à égal et de l’appeler « frère. » Et cependant elles n’ignoraient pas que leurs représentans ne seraient pas reçus aux Tuileries si leurs lettres n’étaient pas strictement conformes aux usages consacrés entre souverains. M. Drouyn de Lhuys leur avait fait savoir par ses agens « que l’empereur se devait et devait à tous les souverains qui lui avaient donné, sans hésitation, le titre de frère, de n’admettre à cet égard aucune exception. » M. de Manteuffel et le comte de Buol s’étaient, du reste, sur ce