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L’empereur Nicolas cédait à la passion. Froissé du silence de Louis-Napoléon et de son obstination à méconnaître ses conseils, il lui notifiait, en termes secs et hautains, qu’il ne serait jamais pour lui qu’un souverain de rencontre.

Le marquis de Castelbajac, après toutes les déclarations sympathiques qu’il avait recueillies et religieusement transmises à Paris, ne s’attendait pas à un tel dénoûment. Il courut au ministère des affaires étrangères, avec l’espoir d’en rapporter des commentaires adoucissans ; mais M. de Nesselrode, pris d’un subit accès de goutte, ne recevait pas. Le général comprit qu’il était mis en quarantaine. Les maladies diplomatiques sont capricieuses et contagieuses. Le ministre de France fut pris à son tour, en rentrant, de violentes douleurs rhumatismales ; il dut comme le chancelier condamner sa porte.


X. — FRANÇOIS-JOSEPH A LA COUR DE BERLIN.

La cour de Potsdam était en liesse dans la première quinzaine du mois de décembre 1852 ; elle attendait la visite de François-Joseph, le neveu de la reine Elisabeth. C’était un événement, car jamais un empereur d’Autriche n’avait mis les pieds à Berlin. Frédéric II s’était rencontré avec Joseph II à Neisse, en Silésie, mais aucune autre occasion ne s’était offerte depuis aux souverains des deux pays de se concerter sur le territoire prussien.

Les entrevues tiennent rarement ce qu’elles promettent ; elles frappent momentanément les imaginations, elles mettent l’opinion en éveil, elles agitent les chancelleries ; mais lorsque les distributions de décorations et de tabatières qu’elles provoquent sont faites, lorsque les derniers lampions sont éteints, les choses reprennent leur cours normal ; l’Europe s’aperçoit qu’elle a trop auguré, en bien ou en mal, de l’événement qui un instant l’a tenue en suspens. Les souverains ont passé des revues, ils ont endossé les uniformes des régimens dont ils sont les titulaires ; ils se sont embrassés devant leurs courtisans ; les conseillers qui les ont accompagnés ont échangé des idées, et parfois même des protocoles, mais les intérêts permanens des cabinets, les passions des peuples n’ont pas changé, et c’est tout au plus si un modus vivendi, qui ne modifie pas le fond des choses, est sorti de ces décevantes conférences. Napoléon III, pour se tirer d’embarras et remettre à flot sa politique si souvent désemparée, proposait des congrès ; aujourd’hui, pour apaiser les ressentimens et conjurer les coalitions, les gouvernemens mettent en jeu les sentimens de famille. Leurs ministres se font modestes, désintéressés, après s’être montrés hautains,