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Quelques semaines plus tard, il revit Napoléon III et lui rendit compte des résultats obtenus ; ils étaient satisfaisans, mais l’observation lui avait suggéré certaines modifications à introduire dans la forme de ses projectiles. Il se rendait à Londres dans cette intention, venait remercier le souverain et lui demander l’autorisation, à son retour, de lui soumettre ses nouveaux modèles et de poursuivre ses essais à Vincennes. L’empereur l’approuva et l’encouragea, ajoutant :

— Vous allez avoir de nouvelles dépenses à faire. J’entends y pourvoir. Comptez sur moi.

Peu de jours après son arrivée à Londres, il recevait en effet une lettre du duc de Bassano renfermant un mot de la main de l’empereur adressé à MM. Baring frères, ses banquiers en Angleterre, ouvrant à Henry Bessemer un crédit sur leur maison. Le montant de la somme était laissé en blanc.

« Qu’auraient dit nos lords de la trésorerie et notre cour de révision, écrit son biographe, à la vue d’un pareil document, eux qui, vingt ans après la guerre de la Péninsule, réclamaient et faisaient payer au généralissime de l’Europe coalisée, à lord Wellington, 5,000 livres sterling pour des dépenses commandées par eux, effectuées par lui, mais dont il ne pouvait, après ce laps de temps, reproduire les reçus ? »

Encouragé par ce concours matériel dont il usa avec discrétion, plus encore par la confiance que lui témoignait et l’appui moral que lui donnait l’empereur, Henry Bessemer reprit ses travaux, et revint à Vincennes diriger et surveiller l’essai de ses nouveaux projectiles. Le résultat dépassa son attente. Le commandant Minié, délégué pour vérifier les expériences, se déclara satisfait.

— Il est regrettable, toutefois, ajouta-t-il, que le métal de nos pièces ne soit pas plus solide. Avec d’aussi puissans projectiles, elles ne pourront résister à un tir prolongé.

Cette observation était juste. Elle frappa vivement Bessemer. Peu de jours après il revit l’empereur, lui en fit part, ainsi que de son intention de se livrer à des études nouvelles pour donner aux pièces d’artillerie une plus grande force de résistance. Chaque pas qu’il faisait dans cette voie, chaque objection nouvelle, le rapprochaient de son but. La suggestion faite par le commandant Minié sur le polygone de Vincennes devait être le point de départ d’une importante révolution dans l’artillerie et dans la métallurgie.

Renfermé dans son laboratoire de Saint-Pancrass, dont il avait seul la clé, et dans lequel il ne laissait pénétrer personne, Henry Bessemer se consacra tout entier à cette tâche nouvelle, multipliant les essais, jusqu’au jour où il réussit à fabriquer un petit canon d’une singulière légèreté relative et d’une grande force de