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lui-même aucune de ces professions ? Le métier d’administrateur est donc bien facile que, selon la phrase consacrée des manuels de droit, a pour être nommé préfet ou sous-préfet, il n’existe aucune condition d’âge ni de capacité ? « Il est en même temps bien peu solide, puisque tous ceux qui y sont employés présentement pourraient être remerciés du jour au lendemain.

Ce serait à coup sûr une grande illusion que d’espérer voir jamais fonctionner en France un système analogue à celui de l’Angleterre, où les lords-lieutenans, les shériffs et les juges de paix, pris parmi les propriétaires de la contrée, administrent le pays librement, gratuitement et parfaitement, tout en continuant à demeurer chez eux. De pareilles institutions sont incompatibles avec notre démocratie moderne ; bien loin de s’acclimater ailleurs, elles sont attaquées, dans leur berceau même, par les progrès du fonctionnarisme britannique. Mais ce qu’on pourrait faire, c’est d’étendre aux emplois de gouvernement, depuis le sous-préfet jusqu’aux ministres, les garanties dont on entoure déjà les emplois spéciaux ou techniques, en rendre l’accès difficile et la possession sûre. Un sous-préfet, un préfet, nommés pour dix ans, dans des catégories déterminées et en vertu de certaines présentations, s’occuperaient moins de politique et plus d’affaires, et nous profiterions tous, — majorité autant que minorité, — de cette impartialité qui naît de l’indépendance, laquelle procède elle-même du sentiment de la force et de la durée. De ce que le peuple peut tout ce qu’il veut, il ne s’ensuit pas qu’il doit vouloir tout ce qu’il peut ; au contraire, sa grande préoccupation doit être de se chercher des freins, de se construire des digues et de les respecter.

Le parlement est-il prêt à voter de pareilles propositions ? Le pouvoir législatif consentira-t-il à renforcer ainsi à son détriment le pouvoir exécutif ? je l’ignore ; mais le parlement, sous sa forme présente, n’est-il pas menacé ? N’a-t-il pas trompé bien des espérances ? Et s’il ne consent pas à se réformer lui-même, ne peut-on dire de lui que ses jours sont comptés ? Si l’on imaginait, dans notre république, de mettre en vigueur un gouvernement qui reposerait sur cette idée bien simple : qu’on ne fait bien que ce qu’on sait, et qu’on ne sait que ce que l’on a appris, on trouverait singulier que le métier de législateur fût le seul qui n’exigeât aucune compétence spéciale ; peut-être alors remanierait-on la loi sur l’éligibilité, en réclamant, selon la formule de 1848, l’adjonction des capacités, non plus au corps des électeurs, mais bien à l’assemblée de leurs élus…


Vte G. D’AVENEL.