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femme la force de résister aux rudes épreuves que réservait l’avenir à une nature simple et noble comme la sienne.

Tout d’abord passionné pour la gravure, il inventa un procédé peu coûteux de reproduction de tous les timbres en usage ; puis il s’aperçut que son invention, si ingénieuse fût-elle, pouvait être exploitée dans les administrations publiques au détriment de l’état. Préoccupé de ce danger, il s’ingénia à y trouver un remède, à découvrir un timbre inimitable, déployant autant d’habileté à rendre son procédé improductif qu’il en avait mis à le perfectionner. Parvenu à son but, il s’en fut trouver le ministre des postes, sir Charles Presley, lui expliqua sa première invention, lui exposa ses scrupules, et enfin lui mit sous les yeux le modèle qu’il proposait de substituer à ceux en usage, indiquant avec précision ce qui rendait la contrefaçon impossible. « Je ne doutais pas un instant, écrit-il, que le gouvernement ne reconnût généreusement l’important service que je lui rendais. » Il était jeune, avons-nous dit, naïf, et il croyait à la gratitude des gouvernemens.

Sir Charles Presley, lui, était capable, intelligent, et fonctionnaire émérite. Il se rendit immédiatement compte de l’importance de la communication que lui faisait le jeune inventeur ; aussi l’accueillit-il de son mieux, lui avouant que des contrefaçons bien moins parfaites que celles qu’il avait sous les yeux occasionnaient déjà une perte de 100,000 livres sterling (2,500,000 fr.) par an au trésor. Il le loua fort de n’avoir pas ébruité sa première découverte, qui eût ruiné l’administration des postes ; plus encore de sa seconde invention, qui rendait la fraude impossible, et il termina en lui demandant ce qu’il préférait : d’une somme de 125,000 francs payée comptant ou de la place de surintendant des timbres de la poste, avec un traitement de 18,000 francs par an. Il donna en outre à entendre à son interlocuteur ravi que lui, Charles Presley, lui saurait gré de préférer la place, qu’il dépendait de lui d’octroyer, à une indemnité pour laquelle il serait obligé d’en référer au parlement et d’attendre son vote.

Henry Bessemer n’hésita pas. La place, c’était son mariage à brève échéance, l’avenir assuré, et la fortune le tentait moins que la réalisation de ses espérances. Il livra ses modèles, ses procédés, et s’en fut tout heureux porter à sa fiancée la bonne nouvelle.

Bien qu’au courant de ses travaux et de ses démarches, elle n’espérait pas un aussi prompt résultat ; aussi grande fut leur joie ; mais une suggestion qu’elle fit ouvrit à son fiancé de nouveaux horizons et le jeta dans de nouvelles perplexités. Sa découverte ne serait complète, lui dit-elle, que s’il parvenait à incorporer dans le timbre une date indélébile. Alors seulement il serait impossible de le détacher pour en faire double usage, « Cette