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gérant fait de mauvaises affaires. Cet abandon de lui-même, les monarchies, les empires, les républiques n’ont cessé de le lui faciliter ; tous ont parlé de libertés nécessaires quand ils étaient l’opposition, et d’autorité plus nécessaire encore quand ils étaient le pouvoir. Tous auraient aujourd’hui mauvaise grâce à reprocher à cet homme, si solidement lié, de ne pas marcher d’un pas alerte ; après l’avoir dépouillé de tous les droits qu’il eût pu raisonnablement exercer, on te déclare inhabile à se gouverner lui-même, et la preuve, dit-on, c’est qu’il est en tutelle.


III

« Le droit de gérer leurs propres affaires, Sire, disait Malesherbes à Louis XVI en 1775, a été enlevé à vos sujets, et l’administration est tombée, à cet égard, dans des excès qu’on peut nommer puérils… On en est venu, de conséquences en conséquences, jusqu’à déclarer nulles les délibérations des habitans d’un village quand elles ne sont pas autorisées par un intendant ; si une communauté a une dépense à faire, il faut suivre le plan qui convient au subdélégué ; si elle a un procès à soutenir, il faut aussi qu’elle se fasse autoriser par l’intendant, et si l’avis de l’intendant est contraire aux habitans, ou si leur adversaire a du crédit auprès de l’intendance, la communauté est déchue de la faculté de défendre ses droits… Voilà, Sire, par quel moyen on a travaillé à étouffer en France tout esprit municipal… » On le voit, le mal date de loin ; mais est-il près de cesser ? Les abus signalés par Malesherbes subsistent tous, à l’exception d’un seul : la loi municipale de 1884, rendue quatre- vingt-quinze ans après la révolution, a, pour la première fois, depuis Louis XIV, permis aux conseils municipaux de se réunir sans autorisation préalable des délégués du pouvoir central. En revanche, on signale bien d’autres ingérences contemporaines de ce pouvoir dans les diverses manifestations de la vie sociale : au lieu des six ministères de 1790, il y en a dix, il y en a même eu douze pendant quelque temps ; et rien ne prouve que l’on s’en tiendra là, puisque plusieurs membres de l’extrême gauche proposaient, il y a quelques mois, la création d’un « ministère du travail ! » Il est assez singulier, entre parenthèses, que le pouvoir exécutif, qui n’a pas le droit d’ajouter deux officiers à un régiment, ait eu celui d’ajouter deux ministères à un cabinet.

D’ailleurs le premier venu peut, sans grande peine, se charger indifféremment, ou de réduire les dix ministères actuels à six, qui auraient assez peu de travail pour que chacun se demande comment on a pu jamais en réclamer dix ; ou de les porter à vingt, et d’augmenter tellement leurs attributions qu’il leur faille