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Pourquoi vous en rapportez-vous à sa sagesse pour trancher, en désignant les législateurs, les matières épineuses, semées d’écueils, de la politique ? Si, au contraire, il est doué du bon sens vulgaire qui éclaire tout homme venant en ce monde, pourquoi prétendez-vous savoir mieux que lui, dans l’intérieur des quelques lieues carrées qui composent sa commune, ou des quelques cantons qui composent son département, les bâtimens qu’il doit construire, les dons et legs qu’il doit accepter, les procès qu’il doit intenter, les maîtres d’école qu’il doit payer ? Le rôle du pouvoir central, disent les partisans de l’omnipotence de l’étal, est de défendre les droits des minorités. Quand un conseil-général ou municipal fait un usage abusif de son mandat et opprime la minorité locale, l’état, représentant de la majorité nationale, vient au secours de cette minorité locale. Fort bien ; mais qui donc viendra au secours de cette minorité nationale si, comme je l’ai dit plus haut, elle est opprimée ? Et cette oppression existe toutes les fois que la majorité nationale sort de son rôle, en nationalisant des questions qui ne sont pas de son ressort.

Je reconnais volontiers que l’intolérance des majorités ne date pas d’hier ; même on ne peut nier à cet égard un très notable adoucissement dans les mœurs : quelque pénible que soit aux catholiques la persécution religieuse actuelle, elle n’est pas à comparer avec celle qu’ils ont soufferte, il y a cent ans, pendant la première révolution, ni avec celle dont les protestans ont été victimes, il y a deux cents ans, quand le gouvernement de l’époque, cédant à l’intolérance de la majorité d’alors, consentit la révocation de l’édit de Nantes. On n’a pris depuis dix-huit ans ni la tête ni les biens de personne. Qui donc pourrait toutefois ne pas avouer que la république présente se serait épargné bien des ennuis, aurait réduit au silence bien des adversaires, et concilié bien des hésitans, si elle avait laissé à l’instruction publique le caractère local qu’elle avait eu jusque-là ? Il y a en France 36,000 communes ; en admettant que l’instruction chrétienne ait cessé de plaire à 19,000 de ces communes, pourquoi veulent-elles la faire disparaître des 17,000 autres qui tiennent à la conserver ?

La question budgétaire est, après la question scolaire, le second bâton que le parlement ait mis dans les roues du char de l’état. Le déficit financier n’est dû qu’à l’exagération des dépenses : il n’y a peut-être pas une commune, et il n’y a certainement pas un département dont la caisse ait été aussi mal gérée que celle de l’état ; c’est que les petites choses qui se font en grand sont aussi mal faites que les grandes choses qui se feraient en petit. Quatre cents députés voteront les yeux fermés, à Paris, des milliards, en bloc, pour la construction de ports, de canaux, de chemins de fer d’intérêt local, qui, s’ils étaient assis sur les bancs de leurs