Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/827

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Macbeth. C’est pure invention d’esprit romanesque. Elle ne pensa même pas à cette vétille.

Le second voyage en Suède clôt les aventures de Christine à travers l’Europe. Non point qu’elle n’eût encore des démangeaisons d’aventures. En 1675, elle revint à la charge auprès de la cour de Vienne, afin d’obtenir des troupes pour arracher la Poméranie à la Suède et la donner à l’empire. Ses honteuses instances se prolongèrent plus d’une année. Repoussée par l’empereur, elle se tourna du côté de la France, à qui elle suggéra de profiter des embarras de la Suède pour l’obliger à abolir les lois contre la religion catholique. Suivait le prix auquel sa majesté suédoise estimait ses renseignemens et ses petits services. (Lettres et dépêches de 1676 et 1677.) N’ayant point réussi non plus avec la France, elle tâtait de nouveau la Suède, sur le bruit que Charles XI s’était tué en tombant de cheval (1682), lorsqu’on apprit que Charles XI n’était pas mort. Plus tard encore, à soixante ans passés, Christine voulut quitter Rome, parce qu’on y méconnaissait ses prérogatives royales. Elle s’était querellée à ce propos avec Innocent XI, pape fort économe, qui ne dépensait, d’après la légende, qu’un demi-écu par jour pour la table et le reste. Une pension de 12,000 écus à une reine aussi incommode lui parut un abus : il supprima la pension. Christine resta pourtant, faute de savoir où aller.

Le temps des cavalcades était passé. La voilà fixée, cette reine vagabonde, la voilà vieille, « fort grasse et fort grosse, » le « menton double, » les cheveux coupés courts et « hérissés. » Elle porte toujours son justaucorps, sa jupe courte et ses gros souliers. « Une ceinture par-dessus le justaucorps, laquelle bride le bas du ventre et en fait amplement voir la rondeur[1]. » Il ne peut plus être question de culottes chamarrées. Ainsi tournée et accoutrée, elle a l’air encore plus petite et encore moins femme qu’autrefois. On s’explique l’embarras des Italiens, qui discutaient sur son sexe, ne pouvant se résoudre à en faire ni un homme ni une femme. Adieu l’amazone ! La savante a reparu ; il n’y a plus place que pour elle. Au moment de sa brouille avec le saint-siège, Christine avait encore eu une velléité guerrière, et parlé de descendre dans la rue à la tête de ses gardes. Le pape lui épargna ce dernier ridicule en feignant d’ignorer ses bravades.

Il y aurait à dire sur la savante. Elle était de ces philosophes qui croient aux almanachs, et s’occupait trop d’alchimie et d’astrologie pour un esprit qui voulait être viril. Elle ne concevait l’astronomie qu’assujettie à une censure religieuse, et voulait qu’on changeât

  1. Misson, Nouveau voyage d’Italie, t. II.