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piété dont le pape fait mention dans son bref, il vous plaira que je vous dise que je ne pense pas à l’alléguer pour moi auprès de ces gens-là, car j’estime ne pas mériter cet éloge, surtout auprès d’eux. » La diète polonaise, effarée d’un prétendant aussi inattendu, se hâta de présenter pêle-mêle les objections qui lui vinrent à l’esprit ; Christine eut réponse à tout. On lui opposait son sexe ? Elle serait roi, et non pas reine, et commanderait l’armée ; on ne pouvait pas exiger davantage. La mort de Monaldeschi ? « Je ne suis pas d’humeur, répliqua-t-elle, à me justifier de la mort d’un Italien à messieurs les Polonais. » D’ailleurs, elle lui avait fait « donner tous les sacremens dont il était capable, avant que de le faire mourir. » On craignait ses vivacités ? « Pour les coups de bâton à un valet, quand je les aurais fait donner, je ne pense pas que ce fût un grand chef d’exclusion. Mais si cela suffit pour exclure les gens, je ne pense pas que les Polonais trouvent jamais de rois. » La diète ne fut pas persuadée, et la candidature de Christine resta sur le carreau.

L’entreprise de Pologne était un pas de clerc à ajouter à tant d’autres. Christine ne les craignait pas, convaincue que le monde est à ceux qui osent et qui hasardent. « La vie est un trafic, disait-elle ; on ne saurait y faire de grands gains sans s’exposer à de grandes pertes. » Elle passa le trône de Pologne aux profits et pertes et n’y songea plus. Elle avait bien compté procéder de même pour l’affaire de Fontainebleau, mais elle se heurtait ici à un obstacle inattendu : la conscience publique. L’obstacle l’irritait sans la troubler. Elle s’étonnait de le retrouver partout. Après la France, la Suède. Après la Suède, la Pologne. Qu’est-ce qu’ils avaient donc tous à lui reprocher la mort de Monaldeschi ? C’était pourtant bien simple. « Il faut, écrivait-elle, punir dans la forme de justice quand on peut ; mais quand on ne peut pas, il faut toujours punir comme on peut. » Elle plaignait son siècle d’avoir des sentimens assez bas pour s’inquiéter de la mort d’un domestique, tué sur l’ordre d’une reine. De temps en temps, elle éclatait pour faire taire le murmure importun : « Écrivez à Heinsius de ma part… que toutes les fariboles qu’il écrit au sujet de Monaldeschi me paraissent aussi ridicules et téméraires en lui qu’elles le sont en effet ; et que je permets à toute la Westphalie de croire Monaldeschi innocent, si l’on veut : que tout ce qu’on en dira m’est fort indifférent. » Cette lettre est du 2 août 1682, vingt-cinq ans après le crime. Et le murmure ne se taisait pas. Il ne se tut jamais.

On a dit que l’ombre de Monaldeschi s’était assise au lit de mort de Christine, comme l’ombre de Banco au banquet de