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La négociation n’eut pas de suites pour le moment, sans qu’on en sache bien la cause.

Le pape fit de son mieux pour remettre un peu de dignité dans cette existence dévoyée. Il donna à Christine une pension de 12,000 écus, et y joignit un intendant pour tenir ses comptes et diriger sa maison. Le choix de sa sainteté était tombé sur un jeune cardinal, Dece Azzolini, « bel homme » d’une « physionomie heureuse, » spirituel et instruit, habile, souple et intéressé, qui « passait la plupart du temps en des entretiens amoureux. » Le succès de l’intendant fut foudroyant. Il fut le divin, l’incomparable, l’ange. Christine le comparait à son héros de prédilection, Alexandre le Grand. Azzolini paya sa faveur par de réels services. Il réforma la maison de la reine, arrêta le coulage et le pillage, dégagea les pierreries et la vaisselle, il ne put faire cependant que 12,000 écus fussent assez pour tenir une cour et acheter des raretés. Les tiraillemens continuèrent avec la Suède, et les négociations avec les financiers, et les aigreurs à propos de choses d’argent. Les correspondances de Christine avec ses gens d’affaires laissent une impression de harassement. Toujours des expédiens, des compromis, des habiletés. Jamais le ton de la bonne maison, dont les affaires sont claires et qui n’a besoin de personne.

C’est un grand malheur pour une princesse d’en être aux expédiens. Christine en eut un autre, que plus d’un lui avait prédit quand elle abdiqua : elle regretta la couronne. Quand elle eut bien joui et abusé de sa liberté, rassasié les cours et la populace de la vue de son justaucorps, elle eut envie de changer. Que faire cependant ? Quel nouveau coup de théâtre imaginer ? Elle n’avait pas renoncé à être un grand général, mais il y avait peu d’apparence que les souverains lui confiassent leurs armées. Elle songea à redevenir reine, ou roi : au choix des peuples. Comme il était naturel, la Suède fut sa première pensée.

En 1660, elle apprit la mort de son cousin et successeur, Charles-Gustave. Il laissait un enfant de quatre ans, Charles XI, très débile au dire de Christine, très bien portant d’après les états de Suède. La reine partit pour Stockholm, sons prétexte de veiller à ses pensions, traversa rapidement l’Allemagne, entra à Hambourg le 18 août (1660) et fut suppliée par le gouvernement suédois de ne pas venir en Suède ; quels que fussent ses desseins, elle représentait le vent et la tempête. Pour réponse, elle brusqua son débarquement. La régence lui rendit les plus grands honneurs et se défia. Elle fut impérieuse, imprudente ; elle froissa en affichant son catholicisme. On fut dur, insolent, on démolit sa chapelle, on chassa son aumônier et ses domestiques italiens. Le clergé suédois lui vint faire des reproches, et ses yeux contemplèrent l’orgueilleuse