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dernière fois et se fit annoncer à dix heures du soir… « On me vint dire, raconte Mme de Montpensier, de monter seule. Je la trouvai couchée dans un lit où mes femmes couchaient toutes les fois que je passais à Montargis, une chandelle sur la table, et elle avait une serviette autour de la tête comme un bonnet de nuit, et pas un cheveu : elle s’était fait raser il n’y avait pas longtemps ; une chemise fermée sans collet, avec un gros nœud couleur de feu ; ses draps ne venaient qu’à la moitié de son lit, avec une vilaine couverture verte. Elle ne me parut pas jolie en cet état. » Le lendemain, Mademoiselle mit Christine en voiture. La reine de Suède voyageait dans un carrosse de louage que Louis XIV lui avait fait donner en y joignant l’argent pour le payer.

Elle trouva la peste à Rome, passa quelques mois dans le nord de l’Italie et revint en France, où on ne la désirait plus. La curiosité était satisfaite. Le bruit courait qu’elle était chargée par le pape de ménager la paix avec l’Espagne, et Mazarin n’aimait pas les donneurs d’avis. Elle arriva en octobre 1657 à Fontainebleau, où la cour n’était pas, logea au château, et fut priée de ne point passer plus avant jusqu’à nouvel ordre. Alors survint un événement mystérieux, qui nous jette brusquement, sans aucune préparation, de la comédie dans le drame. Une autre femme se découvre à nos yeux, que rien n’avait fait pressentir. La joyeuse Christine, la perle de la bohème, prodigue et folle, devient, en un jour fatal à sa mémoire, la sanglante Christine, implacable et féroce. Un sombre renom s’attache à cette figure pittoresque, qui n’appelait jusqu’ici que le sourire. Nous pouvons dire adieu à l’ancienne Christine ; nous ne la reverrons plus. La nouvelle prit à tâche de montrer à l’univers, par d’autres actions odieuses, qu’elle était la vraie.


VII

La reine de Suède avait amené à Fontainebleau deux jeunes seigneurs italiens : le marquis Monaldeschi, grand écuyer, favori de la veille, et le comte Sentinelli, capitaine des gardes, favori du jour. Monaldeschi était sottement jaloux de son successeur. Il se vengea par des lettres sur Christine, où il maltraitait la femme. Il avait aggravé sa faute en imitant l’écriture de Sentinelli. C’est du moins ce qui semble ressortir du peu qui perça. Le mystère n’a jamais été bien éclairci, car l’unique confident de la reine avait été le valet de chambre Poissonnet, et bien habile qui eût pénétré Poissonnet ! Quoi qu’il en soit, le 6 novembre 1657, à neuf heures et un quart du matin, la reine de Suède envoya chercher un religieux de Fontainebleau, le père Le Bel, prieur des Trinitaires. Elle lui fit