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Gustave-Adolphe fit ses adieux aux états avant de s’embarquer pour l’Allemagne, ils chantèrent ensemble le Psaume : « Rassasie-nous le matin de ta grâce, nous serons joyeux tout le jour. » Ces gens-là prenaient la vie au sérieux. Christine n’y vit qu’une mascarade. C’est pourquoi ils ne purent s’entendre longtemps, malgré l’esprit, le charme, le courage et la science de cette fille extraordinaire. Il manquait à la souveraine un seul don : le sens moral, et elle était tombée sur un peuple qui se serait plutôt passé de tous les autres.

A dix-huit ans, les états la déclarèrent majeure, et la régence lui remit le pouvoir. On allait voir à l’épreuve ce que valait le parlementarisme appliqué à l’éducation d’une jeune fille.


II

Les états avaient toujours recommandé, très sagement, d’en faire avant tout une bonne Suédoise, dressée aux manières et coutumes du pays, « tant pour l’esprit que pour le corps. » Le sénat et la régence étaient d’accord sur cet article avec les états. Le but qu’ils se proposaient tous étant aussi nettement défini, on demeure stupéfait des moyens choisis pour l’atteindre. Plus on considère la Suède de Gustave-Adolphe, moins on conçoit que des études à outrance et une culture raffinée aient paru la voie la plus propre à en faire aimer et adopter les mœurs.

Un grand prince l’avait comblée de gloire, mais les guerres de Gustave-Adolphe, en rendant la Suède redoutable, ne lui avaient pas permis de s’adoucir. Rude il l’avait trouvée, rude il la laissa. A son avènement, en 1611, l’ignorance était épaisse ; il existait une seule et médiocre école, à Upsal[1], et peu de jeunes gens, par diverses raisons, fréquentaient les universités étrangères. La bourgeoisie n’était pas riche. La noblesse méprisait l’instruction, selon une tradition à laquelle les aristocraties européennes ont infiniment de peine à renoncer. Un grand nombre de magistrats pouvaient à peine signer leur nom, et d’excellens généraux n’en savaient guère plus long. Gustave-Adolphe fonda des écoles et fit venir un libraire d’Allemagne. Il ne put improviser des maîtres ; la faculté de médecine d’Upsal se composa quelque temps d’un seul professeur, et c’était assez pour le nombre des élèves. Un mal général

  1. L’université d’Upsal a été fondée en 1476. A l’époque dont nous parlons, elle était déchue au point de n’être plus guère qu’une école ordinaire. Gustave-Adolphe la réorganisa.