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On a conservé quelques-uns des devoirs de Christine et on en a imprimé une collection. Les compositions françaises ressemblent à celles qu’on fait de nos jours dans les pensions de demoiselles. Il y en a une sur la Patience et une sur la Constance. Une troisième, en forme de lettre, contient des condoléances à une dame, sur la mort de son mari. L’élève Christine avait voulu y mettre de belles idées et s’était embrouillée : « Il faut penser, disait-elle, que, comme il est impossible à un prisonnier de ne quitter pas avec profit sa prison ici, de même les âmes qui sont en ce monde comme en prison ressentent par cette évasion premièrement le contentement d’une vie libre de regrets et de soupirs : et ainsi la mort est l’assurance d’une heureuse vie. » Christine avait seize ans quand elle composait ces chefs-d’œuvre, que des admirateurs imprudens ont transmis à la postérité. Les mêmes enthousiastes s’extasiaient sur ses thèmes latins, qu’ils déclaraient remplis « d’élégances. » J’ose y trouver du latin de cuisine, et j’ose ajouter que cela était tout à fait indifférent pour la prospérité du royaume.

Le gouvernement n’était nullement de cet avis. Il pensait exactement le contraire. Que deviendrait la Suède si la reine faisait des solécismes ? On accumulait les précautions pour éviter un si grand malheur. Le bon Matthias était obligé de rendre compte de ses leçons. La régence savait que, le 26 février 1639, la reine avait commencé les Dialogues français de Samuel Bernard ; que, le 30 mars, elle avait appris par cœur le discours de Caton, dans Salluste, et, le 6 avril, le discours de Catilina à ses soldats ; qu’elle étudiait l’astronomie dans un auteur du XIIIe siècle, incapable de lui donner des opinions hérétiques sur le mouvement de la terre ; qu’en histoire, elle avait débuté par le Pentateuque, auquel avait succédé une Guerre de Thèbes, et qu’elle lisait très assidûment un vieux livre suédois, recommandé par Gustave-Adolphe, où l’art de gouverner était réduit en maximes. Une commission de sénateurs s’assurait avec diligence que les leçons étaient bien sues et faisait passer des examens à la reine. Les états votaient des instructions « sur la manière dont Sa Majesté pourrait être le mieux élevée et instruite, » et profitaient de l’occasion pour inviter les régens à ne point donner à Sa Majesté des idées « préjudiciables à la liberté et aux circonstances des états et des sujets du royaume. »

Jamais élève ne fut soumis à un entraînement plus vigoureux, et jamais élève n’en eut moins besoin. La petite reine avait une facilité remarquable et une ardeur passionnée. Elle voulait tout savoir et comprenait tout. Elle en oubliait le boire et le manger, se privait de sommeil pour travailler, mettait enfin sa tête à une terrible épreuve. Christine n’eut vraiment pas de chance en éducation. Au