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parlementaire, cette organisation savante et compliquée à laquelle les états européens ont emprunté tout ou partie de leur mécanisme gouvernemental. Là encore il semble avoir travaillé en vue de l’exportation, et si les essais faits à l’étranger n’ont pas toujours été heureux, la faute n’en est pas à lui, mais aux traditions, au génie propre des peuples qui ont tenté parfois, sans grand succès, de faire fonctionner, dans un milieu nouveau, un mécanisme ingénieux, sans posséder la sûreté de main, le sang-froid, l’expérience et surtout le self control qu’exige son maniement.

Dans cette île à la superficie restreinte, où s’entassent mines et manufactures, un peuple nouveau a surgi. Si rapidement qu’il s’accroisse, — et nous avons constaté qu’il doublait de 1750 à 1800, qu’il gagnait 90 pour 100 de 1800 à 1850, 30 pour 100 de 1850 à 1880, — cet accroissement rapide est bien peu de chose encore, en tant que puissance productive, si on le compare à cette force nouvelle, à ces ouvriers de fer et d’acier, à ces chevaux-vapeur dont la puissance égale celle de trois chevaux de trait, dépasse celle de vingt manœuvres, — ouvriers silencieux qui consomment chacun 0 fr. 03 ou 0 fr. 04 de charbon par heure, qui ne se lassent jamais dans leur incessant mouvement de va-et-vient, qu’un homme alimente, met en marche, dirige et arrête sans effort, et dont le travail s’effectue avec une incomparable précision mécanique. A ces 35 millions d’habitans qui peuplent le Royaume-Uni et fournissent à l’industrie 3,650,000 ouvriers, ajoutez les 150 millions de bras, les 75 millions de travailleurs mécaniques que la vapeur a créés, que la vapeur utilise, et vous comprendrez la puissante impulsion donnée en moins d’un demi-siècle à la production. Ses lois sont changées, et c’est trop peu de dire que ses forces sont centuplées ; les mots manquent pour rendre des proportions nouvelles et dont quelques exemples peuvent seuls donner l’idée. Une ouvrière aux doigts agiles et expérimentés peut tricoter à la main de 150 à 200 mailles par minute ; le métier circulaire à double fonture en expédie 500,000 par minute ! Muni d’un pareil outillage, un seul ouvrier fait aujourd’hui la besogne de 2,000 à 3,000 autrefois[1].

Et certains logiciens rigoureux d’en conclure que si, dans l’ensemble, la puissance productrice d’un pays a quadruplé, comme en France, par exemple, où nos 1,500,000 chevaux-vapeur représentent une force nouvelle équivalente à celle de 30 millions de travailleurs ajoutés à ceux en chair et en os que nous possédons déjà, chacun de ces derniers peut et doit travailler quatre fois

  1. La Répartition des richesses, par M. Paul Leroy-Beaulieu.