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l’Algérie, disait-il dans la première, jetez un coup d’œil sur la proclamation que je vous adressais en février 1841.Vous verrez que j’ai dépassé de beaucoup le programme que je m’étais tracé. J’avais dit que le drapeau de la France devait seul planer sur l’Algérie : deux fois l’émir a été refoulé dans le Maroc, et notre domination s’étend sur le pays des Arabes, de la frontière de Tunis à celle du Maroc, de la mer à 120 ou 130 lieues dans le désert. J’avais dit que je serais colonisateur ardent. Etendez vos regards au-delà du cercle d’Alger : Voyez les routes, les ponts, les édifices de toute nature, les barrages, les conduites d’eau, les villages qui ont surgi, et dites si nous n’avons pas fait en colonisation, au milieu d’une guerre ardue, plus qu’on n’avait le droit d’attendre. » Puis il donnait aux colons des conseils graves, blâmant leur impatience et leurs injustes préventions contre le gouvernement militaire. « Ces conseils, ajoutait-il en finissant, n’ont rien qui doivent vous blesser ; ils sont au contraire la preuve du vif intérêt que je vous porte. Vous savez que, pendant les six années et plus de mon gouvernement, j’ai mieux aimé servir vos intérêts que de flatter vos passions et votre amour-propre. Pour que je fusse moins franc en vous quittant, il faudrait que mon affection pour vous eût diminué. Il n’en est rien, l’avenir vous le prouvera. »

L’avenir lui a manqué, mais non la reconnaissance nationale. Sa mémoire illustre s’est enracinée profondément dans la terre d’Afrique. Quand, au mois de juin 1849, Alger apprit la mort de son ancien gouverneur, enlevé par le choléra, l’émotion fut universelle et profonde, « J’ai fait mettre à l’instant, écrivait le général Bosquet, des crêpes à toutes les épées, et le deuil reste dans tous les cœurs, j’entends les cœurs des soldats et les cœurs des patriotes. » Une souscription s’ouvrit pour élever un monument à la gloire du maréchal, une statue, qui fut inaugurée trois ans plus tard, le 15 août 1852, à Bab-Azoun.

Il est debout, tête nue, face à la Kabylie, vêtu de sa capote de campagne. A ses pieds, des attributs de guerre et d’agriculture symbolisent ses deux passions unies dans la devise qu’il s’était faite : Ense et aratro.


CAMILLE ROUSSET.