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qu’elle a fait. L’intendant en chef de l’armée écrit : « À Solferino, des ambulances volantes, composées de mulets à cacolets, auxquels on joignit des caissons du train, furent dirigées sur les points où l’action était engagée, pour relever les blessés et les porter aux ambulances. Il en fut ainsi amené 10,212 du 25 au 30 juin. » La bataille avait eu lieu le 24 : cinq jours pour ramasser les blessés. Combien sont morts que l’on aurait pu, que l’on aurait dû sauver ; combien ont appelé en vain, sans pain, sans eau, brûlés par leurs blessures, sous l’implacable soleil, dévorés par les mouches, désespérés, et se demandant pourquoi ceux qui s’étaient si bien battus étaient si cruellement abandonnés. Ils auraient pu se répondre : C’est la guerre ! Oui, c’est la guerre, et c’est pourquoi elle est abominable. Est-ce que Calvin avait raison, lorsqu’il a dit : « Celui qui tient le glaive est ennemi de Dieu ? »

À quelque chose malheur est bon. De l’horreur inspirée par la bataille de Solferino et surtout par ses suites est née une idée généreuse que l’humanité a recueillie et a développée pour le plus grand bien des nations. La bataille, qui fut inopinée, car les deux armées ne se savaient pas si près l’une de l’autre, fut livrée au plus long jour de l’année. Sur un terrain de cinq lieues d’étendue, elle mit en présence et en contact 300,000 hommes. Pour les deux adversaires, les conditions furent mauvaises ; les Autrichiens n’avaient reçu qu’une double ration d’eau-de-vie, les Français n’avaient pris que le café du matin ; la chaleur était accablante, un orage éclata, et l’on se battit pendant quinze heures. Il en résulta que les blessés étaient affamés et déjà affaiblis lorsqu’ils tombèrent. Beaucoup d’entre eux avaient perdu leur sac, c’est-à-dire tout ce qu’ils possédaient. En effet, les chasseurs et les voltigeurs de la garde avaient déposé leurs sacs près de Castiglione, afin de s’élancer plus légèrement à l’assaut de Solferino. Tout ce bagage disparut ; le linge, les chaussures et ces mille riens chers au soldat furent volés. Les paysans lombards et les turcos avaient tout pillé, fraternellement ; les uns, parce que nous venions les délivrer ; les autres, parce qu’ils servaient la France. En outre, les paysans avaient dépouillé les morts et même les blessés, qui, presque tous, furent retrouvés n’ayant plus de souliers aux pieds. Ça aussi, c’est la guerre ; pour la bien apprécier, il ne faut point la voir dans ses résultats, il faut la regarder dans ses moyens. Dans les villages, dans les fermes isolées, dans chaque tenuta, on avait, vaille que vaille, improvisé des ambulances, ou, pour mieux dire, des refuges où l’on apportait les blessés.. Le plus grand nombre, Français et Autrichiens, avaient été transférés dans la ville de Castiglione, qui avait été transformée en hôpital provisoire. L’évacuation