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du pays et protéger la vie de nos soldats. Il réclame l’envoi immédiat de « 150 médecins, dont 20 principaux, 50 majors, 80 aides-majors, et l’admission provisoire de 150 sous-aides auxiliaires. » La lettre suivit la voie hiérarchique ; elle fut adressée à l’intendance, qui l’expédia au ministre de la guerre. Celui-ci écrivit à l’empereur pour témoigner la surprise que lui causaient de telles exigences. Cependant il fait preuve de bonne volonté et publie un avis annonçant que, le 20 juin, un concours sera ouvert dans les hôpitaux militaires de France pour le grade de sous-aide. Le 10 juin ! c’est-à-dire seize jours après Magenta, cinq jours avant Solferino. — Festina lente, hâte-toi lentement, est un sage précepte ; mais encore faut-il que l’on n’attende pas que les événemens se soient produits pour essayer d’y parer.

Pendant le cours de cette campagne, on eût pu quintupler le service de santé sans le mettre encore en proportion avec les nécessités qui lui incombaient. Le médecin en chef, sur lequel on fait naturellement peser une responsabilité qui, en réalité ne lui appartient pas, est-il libre, du moins, de son personnel, et peut-il le distribuer là où il sait que le service l’exige ? Nullement. On fait des mutations sans le prévenir. Où sont les médecins ? Le plus souvent on le lui laisse ignorer. On envoie aux ambulances ceux qu’il destine aux régimens, on garde aux hôpitaux ceux qu’il veut diriger sur les corps en marche ; non-seulement les intendans ne tiennent pas compte de ses réclamations, mais les généraux le contrecarrent. Le 21 juin, il demande que l’on fasse revenir en hâte les médecins de l’ambulance générale, qui ont été provisoirement détachés à l’hôpital de Novare ; il prévoit la bataille de Solferino ; il veut être en mesure de ne point faillir à son devoir. Sa réclamation reste sans effet ; il la renouvelle le 22 et le 23 ; le 24, 300,000 hommes se rencontrent et se heurtent. Le nombre des médecins est dérisoire ; il écrit encore et apprend enfin que ses subordonnés ont été retenus à Novare par l’autorité du commandant de place.

Si le personnel est insuffisant, si on ne lui accorde ni les moyens de transport, ni les facilités de service qui lui sont nécessaires, on peut espérer du moins que l’outillage ne lui fait pas défaut, qu’il a le linge à profusion et les médicamens en quantité convenable. Les magasins de nos places de guerre regorgent ; on n’a qu’à y puiser pour fournir au corps médical les objets sans lesquels il reste paralysé. La correspondance entre les médecins et les intendans militaires peut nous édifier à cet égard : « 17 mai : Le deuxième corps est aujourd’hui à Sale, et à la veille d’en venir aux mains. Vous jugerez de notre embarras et de nos craintes quand vous saurez qu’il n’existe pour toute ressource, en matériel, qu’un