Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/744

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aux États-Unis, pendant la guerre de sécession, le service de santé jouit d’une indépendance absolue. « Ce qui caractérise le service médical américain, dit le docteur Chenu, c’est l’omnipotence du médecin, chef et administrateur à la fois des services qu’il dirige. Le médecin directeur d’un hôpital ou d’une1 ambulance fait directement ses réquisitions, soit aux quartiers-maîtres, soit aux commissariats, soit enfin à la pourvoirie. » Pour en arriver à cette simplification du service et renoncer à des chinoiseries administratives qui semblaient imaginées pour entraver tout bon vouloir, il nous a fallu attendre jusqu’à 1882. Le médecin en chef, au cours de la campagne d’Italie, est tellement tenu en sous-ordre par l’intendance, qu’il est presque annihilé, et qu’on semble prendre à tâche de lui faire constater sa propre impuissance. Sa situation est intolérable et le neutralise. Le 20 mai 1859, il écrit à l’intendant-général : « Je n’ai personne auprès de moi, pas même un planton, pas même un soldat d’ordonnance, et je suis obligé de suffire, seul, à l’expédition des dépêches que je fais porter par un domestique civil ; » et il demande « à titre de faveur dont il sera reconnaissant, » qu’on lui rende un infirmier-major, dont les services lui sont indispensables. Si l’on traite ainsi le médecin en chef, on peut deviner en quel dédain sont tenus les médecins de régiment. Ils ne sont même point montés et font les étapes à pied comme de simples tambours. On n’en peut douter, car le 10 juin, six semaines après le début de la campagne, le baron Larrey écrit : « Plusieurs médecins de l’ambulance du grand quartier-général ne sont point montés, malgré toutes leurs démarches pour obtenir des chevaux ; ils sont obligés de faire les étapes à pied ou sur les caissons. » À cette réclamation qui est pour surprendre, un sous-intendant militaire répond : « Je ne vois d’autre moyen pratique de pourvoir de chevaux les officiers de santé que de les inviter à rechercher eux-mêmes ceux qui pourraient leur convenir, et à les désigner aux président des commissions de remonte de leurs corps respectifs, pour qu’il en soit fait achat et remise immédiatement. » Comment auraient-ils eu le loisir de « rechercher les chevaux qui pouvaient leur convenir ? » Ce n’était pas seulement les plantons et les montures qui leur manquaient, c’était le temps ; ils étaient surmenés par un labeur que l’insuffisance même de leur nombre rendait excessif. Dès les premiers jours, le personnel fait défaut, et les chefs de service formulent des plaintes qui restent inutiles. On dirait que le souci des malades et des blessés est le dernier dont on se préoccupe. Les correspondances officielles sont pénibles à parcourir ; en présence des résultats négatifs qui les accueillent, on se demande si elles