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il n’était guère plus satisfait de son successeur au ministère de la guerre, le général Moline de Saint-Yon. Quand la demande de crédit, qui s’élevait à 3 millions, fut déposée sur le bureau de la chambre, l’exposé des motifs désappointa le gouverneur. « Je n’ai rien vu, écrivit-il, le 9 mars 1847, à, M. Guizot, de plus pâle, de plus timide, de plus incolore. On y a mêlé l’historique incomplet de la colonisation, le système du général La Moricière, celui du général Bedeau ; enfin, le mien arrive comme accessoire. On ne l’appuie par aucune des grandes considérations ; on lui donne la plus petite portée possible ; on l’excuse bien plus qu’on ne le recommande et qu’on n’en démontre l’utilité. » Quelques jours après, le choix des commissaires, nommés pour examiner le projet de loi, ne lui laissa plus de doute sur l’échec qu’il allait subir. Dès lors, sa décision fut prise : mais avant de quitter définitivement la place, il voulut rendre à la France un dernier service.

La soumission de la Kabylie était, on le sait déjà, son desideratum : ce fut par là qu’il résolut de finir. Il y avait un projet du général Bedeau, qui proposait d’aller par Sétif débloquer tout à fait Bougie, et la démarche éclatante de Ben-Salem était venue à point pour y ajouter une nouvelle chance de succès. D’autre part, le chef d’escadron de Wengy, commandant de Bougie, était parvenu à desserrer le blocus. « On ne manquera pas de vous dire, écrivait, à la fin d’avril, le maréchal au ministre de la guerre, qu’il était bien inutile d’aller à Bougie, puisque tout s’arrangeait de soi-même. Cette manière devoir ne serait pas du tout juste. D’abord tout n’est pas arrangé aux environs de Bougie ; cela n’est vrai que pour les trois ou quatre tribus qui entourent la ville. Partout ailleurs il y a des dissidens, et, sur beaucoup de points, dans les environs de Djidjeli, par exemple, tout est dissident ; mais, lors même que toutes les tribus entre Sétif et Bougie auraient fait un semblant de soumission, il serait de la plus haute importance militaire et politique de nous montrer dans ces contrées avec des forces imposantes. C’est dire tacitement aux montagnards : « Vous le voyez, si vous ne tenez pas les engagemens faits avec nous, nous pouvons arriver chez vous avec des forces telles que toute résistance est impossible. »

Cependant le ministre, voyant la chambre et l’opinion en général très hostiles à toute expédition en Kabylie, était fort hésitant. Alors le maréchal, qui avait sa résolution prise, lui écrivit le 6 mai : « Il faut bien que je sente à quel point il est important d’achever ce qui est si bien commencé, pour que je me détermine, dans l’état de santé où je suis, à entreprendre une campagne pénible qui retarde ma rentrée en France. Jusqu’ici, j’avais eu lieu d’espérer que je