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revenans, comme le Horla, par exemple, inexplicables ou inexpliquées, qui pourraient être signets de Mérimée ou d’Edgar Poe. Mats ceux qui ressemblent à tous les autres, à vous ou à moi, qui ont l’air de leur ressembler, qui n’en diffèrent que par une nuance presque imperceptible, ou même uniquement que pour avoir eu l’aventure qui me nous est pas arrivée, voilà les héros, si le mot n’est pas bien ambitieux et bien « idéaliste, » voilà les personnages des nouvelles de M. de Maupassant : un gentilhomme campagnard, un chasseur, un pêcheur à la ligne, un employé de ministère, un paysan bas-normand. On y rencontre aussi des vieilles filles, des bourgeoises de province, des mères de famille, des actrices, que sais-je encore ? une foule diverse et bigarrée, parmi laquelle chacun de nous se retrouve comme en pays de connaissance. À leur valeur d’œuvre d’art, les nouvelles et les romans de M. de Maupassant, ses nouvelles surtout, joignent ainsi une valeur documentaire que n’ont point, au contraire, tant de nouvelles et de romans qui s’en vantent. Lorsqu’un jour on cherchera chez nos romanciers, comme nous le faisons aujourd’hui, comme nous voudrions pouvoir le faire chez les romanciers du XVIIIe siècle, des renseignemens précis sur l’état d’esprit d’un paysan ou d’un bourgeois de nos contemporains, j’imagine que s’il n’est pas le seul, M. de Maupassant est l’un de ceux à qui l’on les demandera ; et ils seront certainement plus sûrs que ceux que l’on trouve dans la Terre, de M. Zola, ou dans l’Immortel, de M. Alphonse Daudet.

Cela ne tiendrait-il pas peut-être à ce que de tous nos naturalistes, il a le mieux compris qu’au-delà de la forme, de la figure, de l’aspect extérieur des choses, il y avait quelque chose encore ; et, comme il dit lui-même, « que l’apparence physique contient toute la nature morale ? » « Toute ; » n’est-ce pas beaucoup dire ? et, pour pénétrant que puisse être le regard d’un observateur, est-il bien vrai que ce que nous avons en nous de plus intérieur se projette ainsi du dedans au dehors, jusqu’à se laisser lire couramment dans nos physionomies, nos attitudes et nos gestes ? Il semble qu’il n’y ait que les mouvemens extrêmes, comme la colère, par exemple, ou le désespoir, dont la mimique soit révélatrice. Mais il n’en est pas moins vrai que cette idée de considérer la nature morale comme enveloppée, pour ainsi dire, dans la nature physique, fait honneur à la perspicacité, à l’ingéniosité de M. de Maupassant ; et j’ajoute qu’en cherchant la raison d’une certaine profondeur d’observation psychologique qu’il faut lui reconnaître, je n’en trouve pas de meilleure. Quelques sentimens, d’espèce plus délicate et plus subtile, dans l’expression desquels, à l’exception de M. Daudet, la plupart de nos naturalistes avaient assez piteusement échoué, M. de Maupassant a prouvé que le naturalisme pouvait les traduire, si l’on en avait le talent. Au rebours des analystes, il a seulement « caché sa psychologie au lieu de l’étaler, »