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et une différence assez considérable. Le don du style était visiblement plus inné, plus instinctif à M. de Maupassant qu’à son maître ; il ne se torturait pas, comme le laborieux et consciencieux rhéteur, pour éviter, une répétition quand elle était nécessaire, et encore moins pour faire, aux dépens du sens ou de la clarté, des effets de sonorité ; sans effort, ou du moins, sans effort apparent, il écrivait plus librement, plus largement et plus juste. Le « vocabulaire chinois, » comme l’appelle quelque part M. de Maupassant, cette « écriture artiste, » selon, l’expression de M. de Goncourt, qui lui-même en a tant usé qu’il en est devenu illisible, l’auteur d’Hérodias et de la Tentation de saint Antoine y croyait ; il croyait au pouvoir propre, intrinsèque et mystique des mots, à une valeur des sons et des combinaisons de sons étrangère ou extérieure à la signification des idées que ces sons et que ces mots expriment ; et en vérité, — ce qui est le secret d’une autre part de son influence actuelle, — il était déjà sur le chemin de ce que l’on nomme aujourd’hui le symbolisme.

Je ne pense pas que M. de Maupassant coure le risque, lui, d’y tomber jamais. Dès en commençant d’écrire, il a compris que si l’on écrit, c’est pour être entendu ; que la langue du véritable écrivain, pour n’appartenir qu’à lui, n’a pas besoin de cesser d’être celle de tout le monde ; et que si la recherche des termes rares, des tours précieux, et généralement des surprises du style, est interdite à quelqu’un, c’est à celui qui écrit des romans d’abord, puisqu’il les adresse à la foule, et ensuite à celui qui se pique de les écrire naturalistes. « Il est plus difficile de manier la phrase à son gré, de lui faire tout dire, même ce qu’elle n’exprime pas, de l’emplir de sous-entendus et d’intentions secrètes, » que d’inventer des expressions nouvelles, ou de rechercher, au fond de vieux livres inconnus, toutes celles dont nous avons perdu l’usage et la signification. » Si nos stylistes accepteraient cette critique, et surtout cette définition de leurs procédés ordinaires, je l’ignore, je ne le crois pas, mais il n’en est pas moins vrai qu’en leur opposant les siens, M. de Maupassant a mis la vraie difficulté où elle est ; et s’il n’a pas osé le dire, nous pouvons dire pour lui que son mérite est d’en avoir merveilleusement triomphé. Peu de romanciers ont eu au même degré que lui l’art de faire passer dans les mots les plus simples du commun usage les sentimens, les intonations, les attitudes et la figure entière de leurs personnages.

Le choix des sujets était moins louable dans ses premières nouvelles. On eût dit que l’auteur de la Maison Tellier ou de l’Histoire d’une fille de ferme prenait un plaisir de collégien à peine émancipé de ses pires lectures à a scandaliser » le bourgeois, tantôt par l’audace de certaines données, tantôt et plus souvent peut-être par l’exagération caricaturale du trait. Ses « bonshommes » étaient