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proclamé stathouder par les états, et il autorisait ses partisans à exercer sur ses ennemis de si horribles vengeances que Spinoza indigné appela les Hollandais les derniers des barbares, ultimi barbarorum. A la mort de Guillaume III, nouvelle crise, nouvelle révolution ; le stathoudérat à vie ou héréditaire est aboli. Mais vers le milieu du XVIIIe siècle, on le rétablira définitivement. Cette fois encore, le nouveau stathouder laissa la populace piller et démolir les maisons des bourgmestres, de leurs parens, de leurs créatures, après quoi, comme l’a dit un historien, « quand on eut attaqué les magistrats par le peuple, on contint le peuple par les soldats. » C’est ainsi qu’en ont usé tous les stathouders. Lorsqu’on a pour soi et la foule et l’armée, on se sert des fureurs populaires pour faire justice de ses ennemis et des soldats pour mettre ses amis à la raison.

Le triomphe du stathoudérat dans les Provinces-Unies fut la victoire d’un homme d’épée sur une oligarchie bourgeoise, qui se figurait trop facilement que, quand elle était contente, tout le monde devait être en joie. Dans notre démocratie française, ce n’est pas de la domination oppressive d’une classe qu’on se plaint, mais du règne abusif d’un parti. La république parlementaire avait les plus belles cartes dans son jeu ; tout l’aidait, tout la servait, la désunion de ses ennemis, la multiplicité des prétendans, le désillusionnement du pays, détrompé des vagues promesses et las des révolutions. Il était naturel de penser que les républicains acquerraient par degrés la pratique des affaires et cette tempérance d’esprit qui fait durer les institutions. La tyrannie d’un homme est peut-être moins insupportable que celle d’un parti, et, à la longue, le nous devient plus odieux que le moi, car un parti est souvent le plus despotique des maîtres et il en est toujours le plus médiocre. Le général Bonaparte avait dit : « Je ne suis pas un parti, je suis national. » Il ne tenait qu’à la république d’en dire autant, de démontrer qu’elle faisait passer les intérêts généraux avant les intérêts et les doctrines d’une coterie, et de se donner une assiette si ferme que les mécontens auraient dû se résigner à s’accommoder avec elle et à mendier humblement leur part du gâteau.

Malheureusement des groupes trop considérables de républicains ont joint à l’esprit d’exploitation la pédanterie des faux principes et à l’intolérance l’amour de la confusion. On a mis la politique partout ; on a trop ressemblé à ce préfet de la Seine qui disait à son secrétaire : « Mettez-vous bien dans la tête, une fois pour toutes, que, de quoi qu’il s’agisse, la meilleure des solutions est toujours la plus démocratique. » Il ne s’agissait pourtant dans l’espèce que d’une affaire de voirie. On refusait de transiger avec ses adversaires, et on ne pouvait s’entendre entre soi. On se divisait en sous-groupes, en sous-coteries, jalouses les unes des autres, se disputant avec acharnement les portefeuilles.