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mieux logé, mieux vêtu[1], non-seulement que le misérable paysan décrit par La Bruyère ou Vauban, ou que le travailleur des premières grandes fabriques dont Sismondi ou Villermé en France, Thornton et les grandes enquêtes en Angleterre, ont tracé le lugubre portrait. En outre, sa journée de travail est plus courte et en général moins rude. En France, en Angleterre, la journée de dix heures est devenue habituelle ; en Amérique, la journée de huit heures est vivement réclamée. Le conseil municipal de Paris veut (très inconsidérément d’ailleurs) imposer celle de neuf heures à ses entrepreneurs. Le travail des femmes, des enfans, a été constamment abrégé. En même temps, le taux des salaires et leur puissance d’achat se relevaient singulièrement. A la suite d’une longue et consciencieuse étude reproduite dans, son récent volume Essays in Finance, M. R. Giffen évalue à un chiffre variant de 50 à 100 pour 100, en dépit des journées plus courtes, l’amélioration du salaire réel en Angleterre depuis cinquante ans. En France, l’évaluation de MM. de Foville et Leroy-Beaulieu, acceptée par d’autres auteurs, touchant la hausse du salaire avant la dernière crise industrielle et commerciale, est comprise entre 40 et 75 pour 100[2]. Quant à l’Amérique, à en croire l’illustre inventeur Edison, un ouvrier peut aujourd’hui y acheter quatre fois autant avec dix heures de travail que son père pouvait le faire il y a cinquante ans[3].

Les économies mêmes de la classe laborieuse, qui, d’après la théorie du salaire égal aux subsistances n’auraient pas dû pouvoir se constituer, représentent déjà aujourd’hui un capital énorme. Qu’on songe pour la France seulement à notre stock des caisses d’épargnes, qui de 62 millions en 1835 est monté en 1884 a plus de 2 milliards[4], aux valeurs mobilières, rentes et obligations, qui se sont une à une accumulées dans les mains des modestes porteurs de nos villes ou de nos campagnes, aux fonds déposés dans les caisses de prévoyance pour la maladie ou les pensions de retraite, aux biens immobiliers dont nos populations rurales ont peu à peu acquis la propriété. Qu’on calcule, d’autre part, les dépenses improductives ou funestes auxquelles se livre une trop grande fraction de la classe laborieuse ; car à côté de ceux qui, grâce

  1. Adam Smith disait : « La chemise et les souliers font partie du salaire nécessaire d’un ouvrier anglais ; ils ne font pas partie du salaire nécessaire de l’ouvrier français. Qui le croirait aujourd’hui ?
  2. Répartition des richesses, ch. XVI. Cette évaluation est reproduite sans contradiction par le Moniteur des Syndicats ouvriers (n° du 4 mars 1888.) Voir les nombreux tableaux statistiques de MM. Chevallier, Beauregard et Villey.
  3. Voir le Journal des transports, 25 décembre 1887.
  4. Il faut y joindre les 200 millions de la caisse d’épargne postale, qui ne date que de quelques années.