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vail, la nourriture des travailleurs n’étant considérée que comme frais de production nécessaires. » Sa conclusion est, on le sait, vu l’impossibilité d’arracher le travail individuel à cette monstrueuse oppression du capital, la constitution d’associations ouvrières subventionnées par l’état, auxquelles devront peu à peu revenir tous les moyens de production. On reconnaît la source directe des déclamations de nos collectivistes : elles sont traduites de Lassalle.

Avant celui-ci, Karl Marx, dont l’ouvrage sur le Capital est l’arsenal où Lassalle lui-même et toute l’école socialiste actuelle ont été chercher leurs armes, Karl Marx, disons-nous, avait essayé de serrer la question de plus près, et de fournir en termes scientifiques et en partant des formules déjà citées une analyse détaillée de la façon dont s’opère le dépouillement des travailleurs par les capitalistes. L’auteur, pour prouver sa thèse, déroule complaisamment et d’ailleurs avec beaucoup d’ingéniosité et d’érudition dans le détail, une longue chaîne de raisonnemens[1] dont nous n’indiquerons ici que quelques anneaux, ceux qui se rattachent directement, à la loi des salaires et à la définition de la valeur : « Toute richesse venant du travail, dit l’auteur, et les travailleurs ne gardant de la richesse créée que la portion qui est nécessaire à leur subsistance, celle qui reste aux mains de l’entrepreneur représente un surcroît de production imposé au travail par le capital pour son propre profit. » En effet, « l’objet spécial, le but réel de la production capitaliste, c’est la production de la plus-value, ou le soutirage du travail extra au profit du capital. » Ce soutirage, le travail ne peut s’y dérober. Il est, par la loi d’airain, dans les mains du capital ; « le temps pour lequel l’ouvrier peut vendre sa force de travail est le temps pour lequel il est forcé de le vendre : en réalité, le vampire qui le suce ne le lâche point, tant qu’il lui reste une goutte de sang à exploiter… » Or, tout produit ayant pour mesure de sa valeur le temps qu’il a coûté à produire, cette création de richesses supplémentaires destinées au capital peut se traduire en nombre d’heures. « Le capital commande du travail non payé ; toute plus-value, sous quelque forme qu’elle se cristallise, sous la forme de profit, d’intérêt, de rente, etc., n’est que la matérialisation d’une certaine durée de travail non payé. Le mystère du travail productif se résout en ce fait qu’il dispose d’une certaine quantité de travail qu’il ne paie pas. »

La journée de travail sera ainsi divisée en deux parts : celle qui

  1. Le livre de K. Marx a été traduit par M. Roy et forme un volume de 350 pages à deux colonnes in-4o. M. Deville en a publié un résumé en un volume in-12.