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course à fond de train, lui tua quatre de ses hommes et força les autres, lui compris, de se jeter à corps perdu dans le fond d’un ravin. On perdit sa trace alors ; on la retrouva. dans le Dahra un peu plus tard. Il était revenu au gîte, non pour mourir, mais pour faire une fin plus originale.

Les tribus qui l’avaient suivi jadis avec ardeur s’étaient singulièrement refroidies. On le vénérait sans doute encore, ce qui n’empêchait pas qu’on s’écartait de lui ou qu’on l’écartait lui-même : il portait malheur. « Je fais traquer Bou-Maza comme un chacal, » écrivait le colonel de Saint-Arnaud, le 10 avril ; trois jours après, c’est un cri de joie : « Bou-Maza est entre mes mains ! Il est ici (à Orléansville) depuis deux heures. C’est un beau et fier jeune homme. Nous nous sommes regardés dans le blanc des yeux. J’ai tout de suite annoncé la nouvelle au maréchal. » Et le colonel raconte comment Bou-Maza se trouve entre ses mains. « Ses dernières tentatives, dit-il, l’ont dégoûté et désillusionné. Partout il nous a trouvés en garde, partout il a rencontré mes camps, mes émissaires. Enfin, il arrive chez un de ses affidés, le kaïd des Ouled Djounès, El-Haceni, qui, s’il eût été seul, se serait prosterné devant lui ; mais il y trouva quatre de mes mghazni. Ç’a été le dernier coup. Il a tout de suite pris sa détermination, et a dit : « Menez-moi à Orléansville, au colonel Saint-Arnaud lui-même, » ajoutant que c’était à moi qu’il voulait se rendre, parce que c’était contre moi qu’il s’était le plus battu. Les autres ont obéi ; ils tremblaient encore devant Bou-Maza, qui a gardé ses armes et ne les a déposées que chez moi, sur mon ordre, deux pistolets chargés de huit balles. En amenant Bou-Maza, mes quatre mghazni étaient effrayés de leur audace. D’un signe il les aurait fait fuir. Bou-Maza était las de la guerre et de la vie aventureuse qu’il menait ; il a compris que son temps était passé. » Quand on le conduisit à Tenès, les Kabyles accoururent sur son passage ; c’était à qui baiserait son burnous.

Reçu par le maréchal Bugeaud dans son palais d’Alger, Bou-Maza fut traité, non comme un prisonnier de guerre, mais comme un otage de haute distinction. Dans une sorte de parallèle avec Abd-el-Kader, le maréchal inclinait peu justement à lui donner la préférence. « Ainsi, écrivait-il au ministre de la guerre, a fini le rôle d’un des hommes les plus dangereux qu’aient produits le fanatisme et la nationalité arabes. Les débuts de Bou-Maza furent plus brillans, plus audacieux peut-être que ceux d’Abd-el-Kader, et s’il n’a pas obtenu les mêmes résultats que son devancier, il faut surtout l’attribuer à ce que son entreprise a été faite dans des circonstances infiniment moins favorables. Abd-el-Kader n’eut aucune peine à grandir, tout le favorisait : Bou-Maza, au contraire, est arrivé au moment où, déjà maîtres