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lieu, a, il y a quelques années, proclamé, peut-être avec une grande vivacité d’expression, dans son bel ouvrage sur la Répartition des richesses, que « toute la théorie du salaire est à refaire[1] ; » et il a réfuté plusieurs erreurs accréditées par d’illustres devanciers. À sa suite, l’Académie des Sciences morales et politiques a ouvert sur ce sujet même l’un de ses principaux concours. Qu’il nous suffise de signaler parmi les écrivains qui y ont pris part M. Émile Chevallier, auteur d’un intéressant mémoire sur les Salaires au XIXe siècle, que l’Académie a couronné. Depuis, M. Beauregard, professeur à la faculté de droit de Paris, a publié un important Essai sur la théorie du salaire, et enfin M. E. Villey, professeur à la faculté de Caen, a fait paraître un petit volume sur la Question des salaires, moins développé que les deux précédens ouvrages, mais qui, non moins net, aboutit aux mêmes conclusions.

En Angleterre, en Allemagne et en Amérique, comme on le verra par la suite de cette étude, la critique de l’ancienne théorie concernant les salaires a déjà été tentée depuis plusieurs années, et de remarquables ouvrages[2] ont protesté contre les théories pessimistes relatives au sort des travailleurs, qui furent émises dans plusieurs des premiers livres de l’école.

Repassons brièvement, avec les auteurs que nous venons de nommer, quelques-unes des définitions mères d’où sont nées tant de déductions graves pour la paix sociale.

I.

La première opinion à citer est celle de Turgot. Celui-ci, dans un passage bien connu de son ouvrage Sur la formation et la distribution des richesses, § 6, présente sous une forme trop catégorique un fait d’observation qui prend sous sa plume l’apparence d’une sorte de loi fatale : « Le simple ouvrier, dit-il, qui n’a que

  1. J. Garnier, dans son Traité d’économie politique, M. Baudrillart, dans son Manuel, et d’autres, n’ont pas reproduit sans réserves les formules classiques. Le premier, notamment, a protesté contre le « salaire naturel » et modifié les bases sur lesquelles l’école anglaise établissait la répartition des produits (chap. XXXII) ; mais il ne l’a pas fait avec toute la netteté désirable. M. Cauwès, au contraire, dans son Précis d’un cours d’économie politique (2e édit., t. II, p. 20 et suiv.), combat la théorie dite anglaise avec beaucoup de fermeté et de clarté. En général, dit Stanley-Jevons (Theory of political economy), l’école française n’a pas laissé passer sans critiques l’ancienne loi des salaires. (Voir, notamment, les traités de MM. Courcelle-Seneuil, Levasseur, etc.)
  2. Voir, entre autres, Stanley-Jevons, Mac-Leod, Leslie en Angleterre ; Fr.-A. Walker, the Wages question, en Amérique.