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possession du Bokhara, et que les armées du Caucase et du Turkestan pourront dorénavant unir facilement leurs efforts. Et tandis qu’ils affirment ne pas redouter les Anglais, ils sont moins catégoriques à l’égard des Russes ; ils parlent alors de se faire tuer jusqu’au dernier en cas de guerre : c’est donc qu’ils n’ont pas l’espoir de vaincre ? Les longs pourparlers de la récente commission de délimitation où les Anglais avaient pris en main la cause des Afghans, ayant abouti à une cession de terrain aux Russes, le prestige des Anglais n’a pas grandi en Afghanistan, et l’on est mécontent d’eux ; on considère l’arrangement pris comme un recul et une marque de faiblesse. Les Russes en valent mieux aux yeux de toute l’Asie, et comme leurs finances ne leur permettent pas les prodigalités des Anglo-Indiens, on est surtout frappé de leur puissance militaire, tandis qu’on s’étonne de la profondeur de la bourse des autres. Les peuples et les peuplades environnant l’Inde sont faits à l’idée qu’il faut tendre la main à ceux qui la gouvernent, et ils sont étonnés toujours de n’en rien recevoir. À la façon dont ils quémandent, on voit bien qu’ils pensent avoir droit à des largesses, et ils ne tiennent pas les Anglais pour de puissans guerriers, mais pour de très riches marchands, ayant construit l’édifice de leur puissance sur des piles de roupies. Rien n’est plus fragile. Ils reconnaissent le courage des Anglais, ils admirent leurs merveilleux travaux, leurs belles voies ferrées, et cependant les regardent du côté des Russes et en attendent de bonnes choses. Il est difficile de mériter la reconnaissance d’Asiatiques et de les satisfaire, et même ceux de l’Inde ne sont pas satisfaits. Nous ne savons ce qu’ils espèrent d’un changement ; peut-être est-ce de leur part un enfantillage propre à bien des peuples. Mais nous savons que plus d’un mécontenta dit : « Lorsque les Russes seront là, cela changera. »

Quand seront-ils là ? Viendront-ils jamais dans les Indes ? Noos n’avons pas compétence pour répondre à ces questions, nous ignorons l’avenir, mais nous savons que quelques-uns les attendent et que beaucoup t’attendent à les voir arriver.


GABRIEL BONVALOT.