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Mac-Mahon avait amené la garnison sur la plage ; quand ils débarquèrent, ce furent des acclamations, des embrassemens, une émotion universelle ; les uns pleuraient de joie, les autres de reconnaissance. Quelques jours après, le bateau à vapeur Caméléon les conduisit à Oran, où les attendait le maréchal Bugeaud.

Ils étaient onze : le lieutenant-colonel Courby de Cognord, les lieutenans Larrazet et Marin, le sous-lieutenant Thomas, le chirurgien Cabasse, le maréchal des logis chef Barbut, les hussards Testard et Metz, le chasseur Trottet, le fusilier Michel ; enfin une femme, Thérèse Gilles, enlevée cinq années auparavant par les Arabes. Tandis qu’à Oran comme à Nemours on leur faisait fête, un seul se tenait à l’écart, accablé sous le souvenir écrasant d’Aïn-Temouchent ; c’était le lieutenant Marin. Traduit devant un conseil de guerre, il fut condamné à mort ; mais la cour de cassation mit à néant la sentence, et le malheureux disparut, emportant on ne sait où le remords de sa faute, rivé impitoyablement à sa conscience.

Suivant la promesse qu’avait exigée de lui Abd-el-Kader, le lieutenant-colonel Courby de Cognord protégea l’Arabe qui apportait trois lettres de l’émir pour le roi, pour le maréchal Soult et pour le Maure Bouderba ; mais le maréchal Bugeaud ne permit pas au messager de passer en France.

La missive destinée au roi débutait par ce préambule magnifique : « De la part du prince des croyans, Sidi-el-Hadj-Abd-el-Kader-ben-Mahi-ed-Dine, — que Dieu le favorise de ses grâces en ce monde et dans l’autre ! — au sultan des sultans des chrétien ? , dont le gouvernement est des plus élevés, et dont la gloire doit servir d’exemple aux autres nations, celui qui doit désormais être le type des plus hautes célébrités, dont l’héroïsme et la magnanimité sont de nos jours le plus éclatant modèle, le César du siècle, le protecteur de la piété et des vertus, le chef suprême de toutes les institutions religieuses et leur conseil le plus élevé ; celui qui a acquis au plus haut degré la connaissance de la direction sage d’un peuple, ainsi que des besoins nécessaires à son bien-être, le chef suprême des armées françaises, le roi Louis-Philippe, — que Dieu facilite constamment l’exécution de ses projets et sa puissance, en tout ce qui peut concerner le bonheur de son peuple ! — etc., etc. »

L’émir énumérait ensuite toutes les démarches qu’il avait tentées inutilement pour arriver à la paix, et présentait à sa façon, non sans habileté, le tableau des faits accomplis. C’était là qu’arrivé au massacre des prisonniers français, il convenait d’en avoir donné l’ordre, parce qu’il avait été poussé à bout par le silence obstiné que les généraux français avaient dédaigneusement opposé à toutes ses ouvertures. « L’accroissement de notre colère, disait-il, a été tel