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nécessaire dans le commencement ; il faut donc que nous soyons soulagés au commencement autant que faire se peut.

Jusqu’au-delà du Kizil-Art, à travers l’Alaï, nous emploierons une bande d’une quarantaine de Kirghiz avec leurs chevaux, qui transporteront nos bagages, de façon à ce que nos bêtes de somme, n’ayant rien à transporter, arrivent relativement fraîches sur le Pamir. On craint de manquer de vivres, et l’on cuit deux fois d’innombrables petites galettes de pain mélangées de graisse. On fait bouillir de la viande de mouton, on la sale, puis on l’entasse dans des panses de moutons bien nettoyées ; elle se conservera longtemps, grâce au froid. On ne s’en servira que dans les circonstances difficiles ou lorsqu’on ne pourra faire du feu, soit que le combustible vienne à manquer, ou que le temps manque, ou que la violence de la tempête nous empêche de rien allumer. A Ak-Basoga, nous trouverons des moutons ; leur viande sera facile à conserver, elle gèlera : en la tenant à l’ombre, elle ne se gâtera pas.

On prépare de la farine, des galettes sans graisse ; du millet est grillé à l’avance ; tantôt on en fera de la bouillie, tantôt on le prendra dans la poche, et, chemin faisant, on le grignotera ; cela donnera de la jambe, car les étapes seront longues. On ne s’arrête que pour coucher, et à une grande altitude l’homme est sujet aux faiblesses, et il mange peu à la fois, mais souvent. C’est pour cela que le gros Mahmoud nous conseille d’ajouter à notre cargaison une soixantaine de livres d’abricots sèches, qu’on suce en chemin quand l’estomac non satisfait manifeste son malaise par des tiraillemens. Et puis les Kirghiz aiment beaucoup les abricots séchés, et nous aussi. On achète de l’huile, qui remplacera à l’occasion notre graisse de mouton, que nous emploierons en guise de beurre, et qu’on sale à l’avance. Le pain lui-même est un peu plus salé que de coutume, car nous craignons le manque de condimens par-dessus tout : le succès de l’expédition dépend essentiellement de l’état des estomacs. De temps à autre, on distribuera des bonbons de sucre aux huit hommes de l’armée régulière. Nous ne nous refuserons rien.

Les chevaux ont chacun une selle de bât, une couverture de feutre double qui les couvrira de la tête à la croupe durant la nuit et qu’on repliera durant le jour. Les fers, les clous à ferrer, les marteaux, le racloir, le couteau à corne, tous les outils de forgeron, les aiguilles à coudre le feutre, les ficelles, tout est empaqueté. On achète encore des cordes russes en chanvre : elles sont beaucoup plus solides que les cordes des indigènes. Nous emportons cependant un lot de cordes de laine et de crin fabriquées par les Kirghiz ; elles sont plus faciles à manier par la gelée, on les