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On peut dire que la politique hydraulique est chez les peuples de l’Europe encore en enfance. Les cours d’eau doivent être régularisés, endigués ; jusqu’ici, on les a considérés uniquement au point de vue de la circulation des marchandises. Il y a un autre intérêt, celui des irrigations, celui de la régularisation du débit, de la création des réservoirs et de forces motrices. On peut, par des travaux sagement conduits, gagner à la fois du terrain, de la sécurité et de l’eau. Le dessèchement des marais est aussi une des tâches dont l’état peut s’occuper, soit pour la concéder en la surveillant, soit pour l’exécuter lui-même. Les particuliers ne sont pas toujours impropres à cette tâche : on sait que le prince Torlonia vient de dessécher en Italie le lac Fucino, œuvre d’ostentation peut-être, appartenant à ce genre de sport aristocratique, presque royal, dont je parlais ici dans ma précédente étude. En Grèce, une compagnie française a desséché le lac Copaïs. En Algérie, la grande compagnie minière de Mokta-el-Hadid s’est chargée du dessèchement du lac Fezzara, près de Bône. L’état n’est donc pas seul à pouvoir exécuter ces grandes tâches ; mais là où l’initiative privée languit et où les ressources publiques abondent, il ne doit pas s’en désintéresser.

Aux eaux se rattachent les forêts : c’est ici encore que le rôle de l’état peut être considérable. Partout où l’homme s’établit, sous le régime pastoral ou au premier stage du développement agricole, il détruit les bois : il le fait d’abord dans un intérêt de sécurité, puis dans un intérêt de salubrité, enfin par avidité, pour étendre les pâturages de ses troupeaux on pour vivifier avec les cendres les terres qu’il ne sait pas amender. Ces destructions, pendant longtemps, n’ont que des inconvéniens modiques, parce que, les bois couvrant presque tout le pays, on peut, sans troubler le régime des eaux, en restreindre l’étendue. Mais un jour arrive où il faut maintenir, particulièrement sur les plateaux ou sur les pentes, les massifs qui ont survécu, les restaurer même. Il ne s’agit pas dans cette œuvre d’assurer des bois à la marine, ou d’empêcher le bois de renchérir, ou bien encore de faire participer l’état, c’est-à-dire indirectement tout le monde, aux bénéfices éventuels de la hausse du bois ; ce sont là des considérations secondaires. Il s’agit surtout de maintenir le régime des eaux et les conditions climatologiques.

L’intervention de l’état, représentant la perpétuité, est ici justifiée : elle est, toutefois, inégalement utile dans les différens pays, suivant diverses circonstances. Elle est plus essentielle dans les contrées méridionales que dans les tempérées ; elle est plus nécessaire dans les pays démocratiques que dans les pays aristocratiques, ou dans ceux qui comptent de nombreuses et fortes corporations. Presque partout le paysan n’aime pas la forêt ; dans le Midi, il