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examen rapide des divers services dont les états modernes se sont encombrés pourra seul, en l’absence d’une règle théorique absolue, impossible à formuler, faire pressentir les limites que doit observer l’état. Au degré de civilisation où nous sommes parvenus, plus menacés de déchoir par une contrainte gouvernementale étroite que de rester en arrière par l’inertie individuelle, un excès d’abstention offre beaucoup moins de périls qu’un excès d’intrusion.


IV

La première fonction de l’état, c’est de garantir la sécurité : la sécurité collective de la nation, la sécurité particulière de l’individu et de ses droits. Sur ce point, il n’y a pas de contestation de principe. L’application prête à plus de difficultés. Il y a, comme je viens de le dire, deux sortes de sécurité, l’une contre tout danger extérieur, l’autre contre les désordres intestins. La première a été considérée de tout temps comme la tâche la plus essentielle de l’état. Il importe, en effet, par-dessus tout, que la nation vive, conserve ses limites, ne soit assujettie à aucune oppression, à aucun tribu vis-à-vis de l’étranger, qu’en outre elle ait une suffisante confiance dans l’organisation de ses forces pour n’être distraite de ses tâches quotidiennes par aucune panique. C’est pourquoi le gouvernement est toujours apparu aux peuples comme étant d’abord un appareil militaire et diplomatique. Quelques nations jeunes, placées dans des conditions spéciales qui ne seront peut-être pas éternelles, les États-Unis d’Amérique, par exemple, n’ayant pas de voisins, semblent échapper à cette destinée commune des nations. Il serait téméraire de dire que ce sera pour toujours. Ils jouissent, en ce moment, par ces circonstances d’origine, de cet inappréciable avantage de pouvoir consacrer moins d’efforts, moins d’esprit de suite, à leur armée, à leur marine, à leur diplomatie. Cette exception ne doit pas nous paraître un modèle. Il serait fou de notre part de prétendre la copier. Tout ce qui, dans la constitution de l’état, porte atteinte à la cohésion des forces nationales, à leur préparation en temps de paix, à la continuité des vues dans l’armement et dans la direction politique extérieure, doit être considéré comme contraire à la notion même de l’état, comme périlleux pour la nation.

Il semble malheureusement que l’état moderne, c’est-à-dire l’état électif à outrance, sans réserve, sans contrepoids, l’état incessamment variable dans son personnel, dans ses institutions, dans ses idées générales, dans ses conceptions techniques, l’état se concevant lui-même comme « un provisoire perpétuel, » l’état reniant toute