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de la frontière du Maroc à la frontière de Tunis, de la zone maritime au plus profond du désert, la nouvelle s’était propagée avec la soudaineté de la foudre. Heureux de sa fortune présente, le jeune gouverneur-général, d’accord avec Changarnier et Bedeau, s’occupait de préparer les succès de l’avenir. C’était ce massif de la grande Kabylie, trois fois abordé par le maréchal Bugeaud, plus profondément entamé l’année précédente, mais encore insoumis et même inconnu sur un large espace, qui captivait ses regards et provoquait son ambition légitime. Il eût été bien que ce fût au fils du roi, sous qui l’Algérie avait été presque totalement conquise, que la France dût l’achèvement de ce grand ouvrage, le complément définitif de la conquête. Dans les premiers jours du mois de mai 1848, les divisions d’Alger et de Constantine devaient se rencontrer dans la vallée de l’Oued-Sahel, après avoir obtenu de gré ou de force, l’une à l’ouest, l’autre à l’est, la soumission certaine et durable des représentais les plus belliqueux d’une des races les plus belliqueuses du monde. Le duc d’Aumale pensait qu’il était urgent de faire cette expédition sans retard, avant qu’il ne survint quelqu’un de ces événemens imprévus qui bouleversent et détruisent les combinaisons les plus habilement faites.

Le 10 février, le duc et la duchesse d’Aumale étaient venus recevoir, au débarcadère d’Alger, le prince et la princesse de Joinville. Ces royaux visiteurs en avaient attiré d’autres ; la saison d’hiver, toujours brillante, était plus animée que jamais, et les divertissemens de toute sorte se succédaient dans la ville en fête. On touchait à la fin du mois : le courrier de France était en retard. Le 27 février, à six heures du soir, une frégate à vapeur entra dans le port. Pendant que le contre-amiral Dubourdieu, commandant de la marine, se rendait en hâte auprès du gouverneur-général, au palais de Mustapha supérieur, son aide-de-camp entrait chez le général Changarnier et lui faisait lire des dépêches télégraphiques où il était parlé du mouvement insurrectionnel de Paris, de l’abdication du roi Louis-Philippe et de la régence de la duchesse d’Orléans. Le surlendemain, les apports du courrier furent infiniment plus graves : à la place du gouvernement monarchique, un gouvernement républicain s’était installé sur ses ruines.

Le 2 mars, au moment où le capitaine de frégate Touchard, aide-de-camp du prince de Joinville, venait d’apporter les premières nouvelles de la famille royale, le duc d’Aumale apprit par le Moniteur que, proscrit avec toute sa race, il était remplacé par le général Cavaignac. Dans cette crise terrible où il était naturel et légitime que ses préoccupations fussent pour les siens, ce fut à la France qu’il songea d’abord. Il écrivit au ministre de la guerre, quel qu’il pût être, de ce gouvernement quel qu’il fût, afin de lui rendre