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promis à Abd-el-Kader qu’il serait conduit à Alexandrie ou à Saint-Jean-d’Acre ; ce sont là les termes de la promesse, rien de plus, rien de moins. J’exclus à l’instant Saint-Jean-d’Acre. Saint-Jean-d’Acre est dans les mains de la Porte : la Porte n’a pas reconnu notre occupation, notre possession de l’Algérie ; il est impossible que nous mettions Abd-el-Kader entre les mains de la puissance qui ne reconnaît pas notre possession de l’Algérie et qui pourrait à l’instant même s’en servir contre notre possession. Je n’exclus point Alexandrie. Nous pouvons avoir à Alexandrie des garanties que nous ne pouvons pas avoir à Saint-Jean-d’Acre. Une négociation est ouverte et des mesures sont prises pour obtenir du pacha d’Egypte, d’abord qu’il reçoive Abd-el-Kader à Alexandrie, ensuite que, quand il l’aura reçu à Alexandrie, il nous donne les garanties, les conditions de surveillance que j’établirai d’une telle façon qu’il y ait une véritable sûreté pour nous en remplissant les conditions de l’engagement pris. Voilà la conduite que se propose de tenir et que tient déjà le gouvernement du roi. Elle répond, je crois, au double but que nous avons à atteindre : nous montrer loyaux quant à l’engagement pris, et nous ménager, pour la sûreté de l’état, toutes les précautions qui sont de notre devoir. »

L’Asmodée, qui portait Abd-el-Kader, s’était dirigé, non sur Marseille, mais sur Toulon. Par un malentendu regrettable, du fait de l’autorité maritime, l’émir, au lieu d’être gardé simplement au lazaret, où il avait été conduit d’abord, fut interné au fort Lamalgue. Le colonel Daumas, envoyé de Paris, l’y trouva dans une disposition d’esprit revêche, presque révoltée. Après avoir annoncé à l’émir que le gouvernement prenait ses mesures pour le faire mener à Alexandrie, le colonel, qui avait résidé auprès de lui, dix années auparavant, à Mascara, crut pouvoir lui donner un conseil d’ami : « Tu seras là, lui dit-il, sous la dépendance d’un consul et d’un pacha ; tu serais bien plus libre en France. Pourquoi ne demandes-tu pas à y rester ? » Là-dessus Abd-el-Kader se récria : « Je ne veux ni rester en France, ni rester à Alexandrie, je veux aller à La Mecque. » Et il écrivit au duc d’Aumale : « Les paroles de Daumas m’ont jeté dans l’étonnement, et je me suis écrié : — loin de moi tout blasphème ! — Je me suis livré au seigneur duc d’Aumale ; je me suis réfugié auprès de lui ; je ne lui ai demandé protection ni pour rester en France, ni pour rester à Alexandrie. Je lui ai demandé de vouloir bien me faire conduire à Alexandrie, pour gagner de là La Mecque, où je désire demeurer jusqu’à la mort. »

C’était, pour employer une expression modérée, absolument inexact. Ni La Moricière, ni le duc d’Aumale n’étaient assez ignorans de la situation du monde musulman pour laisser espérer à l’émir