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elle repose. Plus les formes officielles dans lesquelles le chef du gouvernement français notifiera sa nouvelle dignité aux souverains et aux gouvernemens étrangers indiqueront de sa part des dispositions que ceux-ci pourront considérer comme des garanties morales pour le maintien de la paix et des traités, plus ils mettront de l’empressement à établir des rapports complets et réguliers avec le nouveau gouvernement. »

Le prince-président n’était pas mis en demeure par la Prusse, comme le demandaient à cor et à cri dans l’entourage du roi, M. de Gerlach et M. Niebuhr, les partisans de la Russie, de prendre l’engagement solennel de respecter les traités de 1815 ; mais le cabinet de Berlin lui donnait à entendre, en termes amphigouriques, qu’il ferait dépendre la reconnaissance de l’empire des garanties morales données au sujet du maintien des traités, et qu’il conformerait ses décisions à celles de ses alliés. Cela revenait à dire qu’animé d’invincibles préventions, il protesterait, comme la Russie, contre le titre de Napoléon III.

Les trois cours du Nord se méprenaient étrangement sur le caractère de Louis-Napoléon, en s’imaginant qu’intimidé par leur accord, il renoncerait à son titre et se soumettrait à leurs exigences, sinon à leurs injonctions. Déjà le ton des instructions qu’il adressait à ses agens s’était modifié. Il leur prescrivait une froide réserve : « Vous n’avez pas à traiter avec le gouvernement prussien la reconnaissance de l’empire, télégraphiait M. Drouyn de Lhuys à M. de Varenne, c’est une affaire intérieure dont le règlement appartient à la nation française ; mais si M. de Manteuffel en fournissait l’occasion, vous ne manqueriez pas de lui faire connaître l’impression qu’a causée au prince-président la nouvelle du concert établi entre les trois puissances, je ne veux pas dire contre sa personne, mais certainement à cause d’elle. Une grave responsabilité pèserait sur elles si, par d’injustes défiances ou par des prétentions inacceptables, elles forçaient la France à prendre de son côté une attitude de réserve[1]. » Des sollicitations on passait aux avertissemens. — « Les

  1. M. Drouyn de Lhuys développait la pensée du télégramme dans une de ses instructions dont voici le texte : « Après les immenses services rendus depuis quatre ans à la cause de la paix et de l’autorité en Europe par le prince-président, les hésitations du cabinet de Berlin nous sembleraient étranges et peu conformes aux rapports bienveillans entretenus avec cette cour. — Fort de son droit, certain d’avoir donné de suffisantes preuves de son respect pour le droit des autres, le prince-président attendra, sans impatience comme sans inquiétude, la réponse des puissances étrangères. Une grave responsabilité pèserait sur elles si, par d’injustes défiances ou par des prétentions inacceptables, elles forçaient la France à prendre, de son côté, une attitude de réserve. Vous n’aurez donc pas à provoquer aucune explication ultérieure, et vous écouterez avec froideur celles dont M. de Manteuffel prendrait l’initiative ; mais s’il vous en fournissait l’occasion, vous ne manqueriez pas de lui faire connaître l’impression que nous a causée la nouvelle du concert établi entre l’Autriche, la Prusse et la Russie, je ne veux pas dire contre la personne de Louis-Napoléon, mais certainement à cause d’elle, le lendemain même du jour où la concentration de son pouvoir semblait devoir donner au monde de réelles garanties de sécurité. »