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habitué à imposer sa volonté partout, en était arrivé à ne plus admettre d’autre raison que la sienne. Champion de la légitimité, il répudiait le comte de Chambord ; adversaire implacable de la révolution, il patronnait la république en France et, s’il reconnaissait l’empire, c’était pour l’humilier ; II s’immisçait dans nos affaires intérieures sans tenir compte de nos légitimes susceptibilités ; il provoquait des froissemens et des malentendus dont le souvenir ne pouvait s’effacer. « L’empereur et son chancelier, écrivait le général de Castelbajac dans une heure de découragement, sont des enfans gâtés ; ils n’admettent aucune contradiction. »

Les destinées de l’Europe, il est permis de l’affirmer, eussent suivi un cours bien différent, si, dégagé d’arrière-pensées, l’empereur Nicolas avait facilité la tâche à l’élu du suffrage universel. Par son obstination, il a divisé la France et la Russie, que tout rapprochait : leurs intérêts et leurs sympathies. La faute qu’il commit en 1852 a amené la guerre de Crimée, et, par un enchaînement fatal, celle de 1870.


VI. — LES SENTIMENS DE LA COUR DE PRUSSE.

A Berlin, les dispositions n’étaient pas meilleures qu’à Pétersbourg, mais au lieu de nous les manifester hautement, comme l’empereur Nicolas, le roi évitait toute explication personnelle avec notre envoyé. Il laissait à la Gazette de la Croix le soin de nous faire connaître le fond de sa pensée, et il s’en remettait à son ministre pour concilier ses passions avec ses intérêts. M. de Manteuffel s’en acquittait avec tact et mesure ; il parlait de nos affaires avec un grand dégagement d’esprit, comme si la question de la reconnaissance ne dépendait pas de lui. Il insinuait même qu’il ne partageait pas les craintes de la Russie, et qu’il regrettait ses exigences. Son attitude et son langage ne se modifièrent qu’après le message présidentiel au sénat. Il avoua qu’après un incident qui altérait sensiblement les conditions d’origines et d’existence de l’empire prévues par les trois cabinets, il serait forcé de se concerter à nouveau avec l’Autriche et la Russie sur une ligne de conduite à suivre en commun. Il annonçait en même temps qu’il s’en expliquerait dans ses instructions à ses agens. — « Le rétablissement de l’empire n’est pas douteux, disait sa dépêche, mais il reste à savoir dans quelle forme il sera porté à la connaissance des gouvernement Le roi n’arrêtera ses décisions qu’après s’être concerté avec ses alliés ; il apprécie les éminens services rendus par le prince Louis-Napoléon à l’autorité, gouvernementale. Mais le roi désire la paix et le maintien des traités et des circonscriptions territoriales sur lequel