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devait-il pas être heureux de voir la France rendre un solennel hommage aux principes qu’il se faisait gloire de professer lui-même ?

M. Drouyn de Lhuys adressa au général de Castelbajac une note confidentielle, qui, dans une argumentation habile et serrée, réfutait les objections de la cour de Russie et développait les considérations dont s’inspirait le prince-président, en voulant substituer à un pouvoir viager, précaire, un empire héréditaire.

« Des esprits ombrageux, disait le ministre, avaient cru voir, dans la dénomination de Napoléon III, une sorte de revendication de légitimité impériale, la prétention d’imposer aux puissances européennes le désaveu de leurs propres actes et la négation de tous les faits intermédiaires de 1814 à 1852. Si le prince avait voulu baser son pouvoir sur le principe rigoureux de la légitimité napoléonienne : 1° il s’appellerait Napoléon V et non Napoléon III, car, d’après ce principe, il faudrait compter comme empereurs Joseph et Louis, les frères de Napoléon Ier ; 2° il prendrait la couronne impériale et ne se ferait pas élire ; 3° il daterait son règne de l’époque du décès de son père et non de la proclamation du scrutin. Il s’appelle Napoléon III parce que, en fait et en droit, pour nous France, Napoléon II a existé comme empereur ; il a été appelé à l’empire par l’abdication de Napoléon Ier, il a été proclamé par les deux chambres ; des actes publics, des jugemens ont été rendus en son nom. Le règne a été court, mais il est inscrit dans notre histoire, personne ne pouvait l’effacer, Louis-Napoléon moins qu’un autre.

« La supposition de vouloir supprimer les faits intermédiaires et d’obliger l’Europe à renier ce qu’elle a fait est gratuite. Nous ne demandons pas à l’Europe de renier ses actes, mais nous lui demandons de ne pas renier les nôtres. La politique de Louis-Napoléon a été sage ; il a eu, depuis qu’il gouverne, de bonnes relations avec les puissances. L’Europe ne doit-elle pas se féliciter de voir cette politique consolidée, perpétuée par un acte dont l’effet sera garanti ?

« Nous sommes résolus à fonder chez nous un gouvernement stable. Entre trois monarchies, nous préférons celle qui n’a été renversée que par l’intervention d’une immense force étrangère à celles qui sont tombées d’elles-mêmes. Nous trouvons dans la première plus de chance de durée, surtout ayant la conviction qu’elle ne recèle pas dans son sein cet esprit de conquête qui appela la foudre de tous les points de l’Europe sur le premier empire. »

L’argumentation était probante, sinon irréfutable, mais la logique ne peut rien contre les partis-pris. L’empereur Nicolas,