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mettre sur l’enveloppe de ses lettres : Napoléon III. Il y a, d’ailleurs, des antécédens identiques entre la Russie et la France, qui a été trente ans sans vouloir reconnaître à Pierre le Grand le titre d’empereur. J’ajouterai que, dans les premiers temps de leurs rapports, Napoléon Ier et Alexandre Ier ne se sont traités que de « Sire ; » ils ne se sont servis de l’appellation « mon frère » qu’après leur intimité. »

Les paroles décourageantes du tsar, aggravées par les commentaires de son chancelier, coupaient court aux illusions ; ce qu’ils avaient dit était net et péremptoire. La Russie refusait d’être le parrain du second empire ; elle lui disputait sa place dans la famille des races royales et, méprisante pour le roi Jérôme et son fils, elle répudiait l’hérédité napoléonienne. Telle était la moralité qui se dégageait de ce double entretien, et que des protestations d’estime et d’amitié, faites d’un ton protecteur, ne pouvaient atténuer.

En étudiant, à quarante années de distance, cette laborieuse négociation dont les conséquences ont été si fâcheuses pour la Russie et si funestes pour la France, après un glorieux mais fugitif relèvement, on se demande comment un souverain, arrivé au faite de la puissance, après vingt-cinq années d’habileté, de sagesse et de succès continus, a pu si obstinément ergoter sur des questions d’ordre secondaire, froisser une grande nation, et, en dépit des intérêts communs, repousser l’alliance qui s’offrait à lui. N’était-ce pas méconnaître les inspirations d’une politique prévoyante ? L’Europe était monarchique, elle devait désirer que la France fût monarchique. Ce qui lui importait, ce n’était pas de savoir comment elle le serait, mais qu’elle le fût. La forme pouvait être une affaire de préférence, mais elle ne pouvait motiver ni protestations ni réserves, alors que la France répudiait la république et qu’elle se prononçait, par d’imposans témoignages, en faveur de l’empire héréditaire.

Le prince Louis-Napoléon était tenace ; sa mère l’appelait le doux entêté. Il ne se laissa pas rebuter par le mauvais vouloir qu’il rencontrait à Pétersbourg ; il se rappelait Tilsitt, Erfurth ; il lui semblait impossible que l’empereur Nicolas qui, par toutes les voies officielles ou secrètes, lui faisait parvenir l’expression de ses sympathies pour sa personne, cédât à des considérations byzantines, et sacrifiât pour une question d’étiquette l’avenir au passé. Du moment qu’il le reconnaissait comme empereur, comment pouvait-il s’inquiéter de son rang dynastique et historique ? N’était-ce pas là une question toute française, une affaire de famille et d’hérédité ? Au milieu de la lutte que soutenait le président contre les idées antisociales, contre les agresseurs des trônes, l’empereur Nicolas ne