Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/531

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je fus chargé de la délicate mission de m’entendre avec le curé sur l’heure et l’ordonnancement de la cérémonie. Dès les premières paroles échangées, je me sentis engagé sur un terrain scabreux ; je compris que je me heurterais contre un inflexible non possumus. L’hésitation n’était pas permise ; je transgressai mes instructions, et, au risque d’être désavoué, je réduisis ma demande à une simple messe de dévotion, qu’on ne pouvait nous refuser. Bien m’en prit. « Je suis heureux de constater, me dit le curé, avec un grain de malice, que vous ne songez nullement, comme on le prétendait, à un Te Deum. Vous me délivrez d’un vrai souci, car le ministre des cultes et le ministre de l’intérieur m’ont notifié l’ordre d’opposer un refus formel à la mission de France, si elle devait manifester le désir de faire célébrer dans mon église, le 15 août, un service solennel. Je vais leur écrire, ajouta-t-il en souriant, qu’ils se sont alarmés à tort. »

L’incident était vidé ; il aurait pu mal tourner et engager notre gouvernement dans le moment le plus inopportun. Nous renoncions au banquet, aux illuminations et aux chants d’allégresse, qui réellement n’étaient pas de circonstance ; mais, pour sauver les apparences et sortir avec les honneurs de la guerre d’une situation mauvaise, le personnel de la légation assista en uniforme à la messe basse de Sainte-Edwige, et, le soir, le baron de Varenne réunit autour de sa table ses secrétaires et ses attachés, avec quelques diplomates étrangers, membres de la Légion d’honneur ou particulièrement sympathiques à la France. Les envoyés d’Angleterre, de Bavière, de Bade, de Belgique et de Brunswick ne craignirent pas de se compromettre en buvant à la conservation du prince-président. Le ministre d’Autriche n’eut pas ce courage ; il s’excusa en disant qu’il ne pouvait pas paraître à un dîner donné en l’honneur d’un chef d’état, sans la présence de M. de Manteuffel, le ministre des affaires étrangères[1]. L’excuse sentait le casuiste ; le refus de M. de Prokesch se justifiait d’autant moins qu’il avait été jadis attaché à la personne du roi de Rome, et qu’il ne parlait jamais du duc de Reichstadt sans attendrissement. Il est vrai qu’il avait les larmes faciles et, que tout en serrant avec effusion la main de ses collègues contre son cœur, il savait « feindre le caractère le plus conforme à ses vues et à ses besoins. »

  1. Réponse du baron de Prokesch à l’invitation du baron de Varenne : « Je me serais rendu avec plaisir à votre aimable invitation, si la journée du 15 août n’était pas un anniversaire qui m’impose le devoir de consulter les égards que je dois à la cour auprès de laquelle je suis accrédité. M. de Manteuffel ne prenant pas part au dîner, je vous prie, mon cher collègue, de respecter mes scrupules et de m’en dispenser pour cette fois-ci. »