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Ce sera, en un mot, pour plusieurs années, un mariage de raison, fondé sur l’estime et les intérêts réciproques, avec les bons procédés et les égards qui devront rendre cette union paisible et profitable. »


III. — DEUX INCIDENS DIPLOMATIQUES A BERLIN.

Le langage des diplomates n’est pas toujours un baromètre infaillible, mais, quelle que soit leur habileté ou leur ignorance, — car plus souvent qu’on ne pense ils ne sont pas renseignés, — leur attitude ne révèle pas moins, à ceux qui ont de l’intuition, les tendances des cours qu’ils représentent. Or, en 1852, les propos des agens russes en Allemagne ne répondaient pas aux bonnes dispositions qu’on nous témoignait à Pétersbourg. A Berlin, le baron de Budberg faisait ouvertement campagne contre la France ; il excitait les méfiances et ravivait les souvenirs de 1813. Il n’était pas aimable avec l’envoyé du prince-président ; il l’appelait : « paysan du Danube, » et n’entretenait avec lui que de froids rapports ; il affectait de l’ignorer, si bien qu’un jour il donna un bal sans l’inviter, tout en conviant son personnel. Ce fut une faute qu’il eut à regretter. M. de Varenne avait « la fibre sèche ; » il ne permettait pas qu’on lui manquât. L’occasion s’offrait à lui de s’affirmer politiquement et d’infliger une leçon à un collègue qui, trop volontiers, oubliait les convenances internationales. Il ne la laissa pas échapper. Il donna à son tour un grand bal, auquel il convia, sauf le ministre, tout le personnel de la légation de Russie. M. de Budberg s’aperçut que les rieurs n’étaient pas de son côté, que tous ceux qu’il avait froissés par ses hauteurs et ses propos, — et ils étaient nombreux, — se frottaient les mains. La crainte d’être désavoué par sa cour lui donna à réfléchir. Pour remettre les choses en état et désarmer son collègue, il l’invita, la veille du bal, à un grand dîner officiel, en annonçant qu’il était donné en son honneur. C’était un acte de repentance. Il en fut pour ses frais. M. de Varenne accepta galamment l’invitation, mais ne se laissa pas attendrir. Ennemi des fêtes, il ne s’était imposé les ennuis d’un bal que dans une pensée politique ; il n’entendait pas en perdre le bénéfice.

L’incident fit grand bruit à la cour et dans les salons ; tout le monde en saisit la moralité. « Mon démêlé avec M. de Budberg, écrivait M. de Varenne, a du retentissement ; on en conclut que je n’ai pas peur de lui, et cela me fait honneur. L’audience confidentielle que le roi m’a donnée ce matin m’autorise à croire que ma réponse au procédé de l’envoyé russe n’a pas déplu à Sa