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comme les oracles de l’opinion, et qui se sont si étonnamment mépris sur celle de la France.

« L’empereur Nicolas, heureusement, n’est pas toujours accessible à ces commérages ; ses idées élevées et sincèrement chrétiennes le portent vers tout ce qui est grand et utile aux intérêts conservateurs. Toutefois, la proclamation de l’empire pourrait bien rencontrer ici des difficultés, si nous voulions, comme Louis XVIII l’a fait pour la légitimité, faire remonter l’empire à la mort de Napoléon Ier ou du duc de Reichstadt, au lieu de lui donner l’origine populaire et élective qu’a déjà eue la présidence décennale au 20 décembre. L’empereur admire le prince Louis-Napoléon, il le considère comme le sauveur de la France ; mais il croit, lui souverain absolu, que la république est encore pour longtemps la plus forte digue à opposer au flot démagogique. Il paraîtra étrange, ajoutait le général, aux hommes qui ne le connaissent pas, et même à ceux qui le connaissent, qu’il nous conseille la continuation de la république. Mais quand il dit : « Restez dans la république forte et conservatrice, et gardez-vous de l’empire, » c’est loyalement le conseil d’un ami qui signale le danger et veut vous en éloigner. »

Le marquis de Castelbajac était sous le charme de l’empereur Nicolas ; il le tenait pour un ami sincère de la France ; il allait jusqu’à le représenter comme un admirateur du prince Louis-Napoléon. Il croyait qu’en nous donnant le singulier conseil de ne pas changer la forme de notre gouvernement et de rester en république, il n’avait en vue que notre intérêt. Il se méprenait, malgré la finesse de son esprit, sinon sur ses sentimens, du moins sur sa politique. Il ne pouvait convenir au tsar de laisser se consolider en France un gouvernement fort, autoritaire, concentrant dans ses mains, sans contrôle, l’action diplomatique et militaire, et revendiquant comme lui le rôle de défenseur de l’ordre européen. En entravant le retour à la monarchie, comme plus tard M. de Bismarck devait le faire, à son exemple, il espérait nous rendre les alliances impossibles et forcer notre politique, vouée à graviter autour de la sienne, à lui servir d’appoint. Il avait besoin du spectre révolutionnaire pour maintenir sous sa coupe les dynasties dont il s’était constitué le protecteur. Il désirait une France impuissante, absorbée par ses luttes intestines, pour réaliser plus aisément ses desseins en Orient, de connivence avec l’Angleterre, qu’il s’efforçait de capter par l’appât de l’Egypte et de Chypre. Aussi ne voulait-il admettre qu’une présidence et tout au plus un empire à vie, précaire, laissant le champ libre aux revendications, aux brigues et aux cabales des partis. Il se méfiait d’ailleurs des tendances du prince ; il ne voyait pas sans inquiétude ses actes contredire ses paroles. La présence officielle