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Berge manie d’une main habile son corps d’armée ; en Normandie, dans l’ouest, jusque dans les eaux de Provence, où un essai de mobilisation vient de se faire avec succès sous M. l’amiral Amet. Là est ce qui intéresse réellement le pays ; là est la vie sérieuse, comme elle est aussi dans cette masse obscure du peuple qui travaille sans bruit, qui lutte contre tous les obstacles, contre les inconstances d’une saison ingrate. C’est la force latente et permanente de la nation française. Auprès de cela, qu’est-ce que la politique ou ce qu’on appelle la politique du jour ? Partis et gouvernement se paient le plus souvent de mots et de fictions, laissant s’accumuler et s’aggraver les impossibilités, les dangers qu’ils créent eux-mêmes par leur frivolité agitatrice et présomptueuse. Ils se disputent un pouvoir qu’ils ont ruiné, dont ils ne savent plus même se servir. Le jour où on se retrouvera en présence à la session prochaine, — et de toute façon ce sera avant un mois, — il faudra bien aborder la réalité des choses ; il faudra bien savoir s’il y aura un budget, si on laissera aller jusqu’au bout la politique de désorganisation radicale dont le ministère se fait si étrangement un mérite à tout propos, comment on se tirera de toutes ces mauvaises affaires de la dissolution, de la révision, qui ne sont que le déguisement d’une anarchie croissante et des menaces de dictature. En attendant, on croit suffire à tout et faire illusion à un pays lassé de tout, même de l’espérance, avec les voyages, les réceptions, les banquets et les manifestations. On voyage donc, c’est devenu un expédient de gouvernement. M. le président de la république, qui est appelé partout et qui a la meilleure volonté d’aller partout où on l’appelle, était il y a quelque temps en Dauphiné ; il est attendu à Lyon. Il est aujourd’hui en Normandie ; il va à Cherbourg ; il doit présider à la revue de clôture des manœuvres du 3e corps à Rouen. M. le ministre de la guerre sera auprès de lui, revenant de quelque frontière. M. le ministre des travaux publics, de son côté, ne sait plus à quelle fête locale se vouer. Et M. le président du conseil, lui aussi, a voulu avoir son voyage à effet, un voyage à lui seul, original, imprévu. L’amiral suisse s’est révélé subitement en lui : il est parti pour Toulon, voulant assister aux manœuvres navales et « contempler tes flots bleus, ô Méditerranée ! »

Rien, certes, de plus intéressant que ces manœuvres récentes de notre flotte sur les côtes de Provence. C’est la première fois, si nous ne nous trompons, qu’un essai sérieux et un peu complet de mobilisation navale a été fait. Il n’y avait rien pour l’apparat. Cette curieuse et utile expérience avait cet intérêt de pouvoir offrir des lumières sur la mesure de disponibilité de nos forces, sur l’instruction de nos équipages, sur ce qui peut manquer dans tous les services comme dans le matériel de notre établissement naval. C’était l’affaire du ministre de la marine, M. l’amiral Krantz, de suivre cette opération compliquée,