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paroles n’est pas un aveu d’égoïsme, ni surtout un aveu cynique. De temps à autre, un mot leur échappe, qui nous fait rire ; dans l’intervalle, nous respirons ; et ce qui nous permet de rire, précisément c’est que nous avons respiré. D’ailleurs, entre son mari et sa mère la jeune femme est là, qui repose nos regards : elle n’a rien de céleste, elle non plus, mais enfin elle vaut mieux que ce libertin et que sa respectable complice.

Il y a des hommes, il y a des femmes dans la nature qui méritent moins de haine ou de mépris que les autres : on les appelle honnêtes gens. Réduit à cette formule, on nous passera notre optimisme. Eh bien ! M. Bonnetain et tutti quanti ont recruté, massé en face de nous, sur la scène, toute sorte de gredins et de lâches qu’ils ont exercés à crier, au commandement, leur gredinerie et leur lâcheté. Qu’ils fassent maintenant desserrer les files, pour admettre en cette compagnie un petit nombre d’honnêtes gens ; que ceux-ci aient licence de parler quelquefois, ceux-là de se taire ou de publier leur vice avec moins de fureur. Et le public d’applaudir !

Mais, j’y pense,.. la tactique et la discipline dont il s’agit, n’est-ce pas les mêmes à peu près qui furent en honneur chez Molière ? Tartufe dans son théâtre, a ce compagnon : Alceste. Et, s’il faut citer des personnages moins rares, qui soient des voisins moins différens, auprès d’un Sganarelle quelconque, je nommerai Chrysale. Ce n’est qu’à son tour que Sbrigani ou Scapin élève la voix : encore est-ce l’air qui fait la chanson et la chanson de ces gaillards-là, quelles qu’en soient les paroles, n’attriste personne. Gorgibus, Géronte, tous les pères ne rêvent que d’argent ; mais les filles, les fils mêmes ne rêvent que d’amour A la bonne heure ! Il n’est pas besoin d’un nouvel art dramatique celui-là suffit. Et, s’il est besoin d’auteurs nouveaux, les jeunes gens accueillis au Théâtre Libre, pour être applaudis ailleurs, n’ont qu’à le vouloir.


Louis GANDERAX.