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la justification par la foi, ce qui les sépare des sectaires tels que Soutaïef, qui font consister toute la religion dans les œuvres. Les radstockites croient avoir l’assurance d’être sauvés quand ils se sentent en union intime avec le Sauveur. « Avez-vous Christ ? demandait lord Radstock à chacun de ses auditeurs ; cherchez et vous trouverez. » Tandis que le lord anglais ne pouvait s’adresser qu’aux gens du monde, M. Pachkof a étendu son apostolat aux gens du peuple. Il recueillait, dans son hôtel de Pétersbourg, des personnes de toute condition, auxquelles ses amis et lui enseignaient à « chercher Christ. » C’était un phénomène nouveau en Russie que cette parole distribuée à la fois aux hommes du commun et aux hommes cultivés, si peu habitués d’ordinaire à se voir servir les mêmes alimens intellectuels. Des assemblées du même genre avaient lieu à Moscou, à Kazan et en d’autres villes, sous le patronage de dames qui se plaisaient à faire asseoir, dans leurs salons, les valets derrière les maîtres. Il ne suffisait pas à M. Pachkof d’évangéliser de sa bouche les ouvriers et les paysans, il faisait traduire pour eux de ces tracts chers aux piétistes anglais. Traités et sermons étaient répandus gratuitement par milliers d’exemplaires. M. Pachkof devint rapidement populaire parmi les dissidens. Les sectaires de passage dans la capitale allaient le voir. Les fils de Soutaïef expédiaient de Pétersbourg à leur père les brochures puchkovites. M. Prougavine en a rencontré au Caucase, dans l’Oural, en Sibérie.

Tant que le radstockisme était resté confiné dans les classes privilégiées, le gouvernement ne s’en était guère inquiété ; s’il est une liberté en Russie, c’est la liberté des salons. Il en fut autrement lorsque des corsages décolletés et des habits noirs la propagande passa à l’armiak et au touloup. Le peuple, avec sa logique naturelle, ne gardait pas toujours, vis-à-vis de l’église et du clergé, la déférence de bon goût que continuaient à leur témoigner des esprits dressés aux compromis de la vie mondaine. Il arriva, me racontait un de mes amis, que des paysans, qui avaient entendu M. Pachkof parler sur l’inutilité des cérémonies et des observances, n’eurent rien de plus pressé, en rentrant dans leur izba, que de jeter par la fenêtre leurs saintes images. Le gouvernement impérial ne tarda pas à prendre des mesures contre les aristocrates prédicateurs. M. Pachkof fut expulsé de Pétersbourg ; interné d’abord dans ses terres, il fut ensuite invité à voyager à l’étranger. Le comte Korf dut également quitter la capitale. La société de propagande, fondée par ces messieurs, a été dissoute en 1884 ; leur organe, la Feuille évangélique du dimanche, a été supprimé.

Le haut procureur du saint-synode, M. Pobédonostsef, n’a pas