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d’avoir retrouvé le véritable enseignement de Jésus, dénaturé durant des siècles par l’église. Doukhobortses et molokanes repoussent également toutes les cérémonies extérieures. Ils n’ont pas de clergé : « Nous sommes tous prêtres, disent-ils ; nous n’avons pas besoin d’autre pontife, d’autre maître que du Christ. » La même idée se rencontre chez nombre de bezpopovtsy ou sans-prêtres, qui prétendent, eux aussi, être revenus au sacerdoce primitif, « au sacerdoce de Melchisédech. » Ils n’ont pas d’églises, prenant à la lettre le templum Dei estis de saint Paul. Une église, disent-ils, n’est pas faite de poutres, mais de côtes : Ne v brevnakh tserkov a v rebrakh, donnant à entendre que le temple de Dieu est la poitrine du chrétien et non un édifice fait de main d’homme.

La mystique échelle de grâces et de sacremens, dressée par l’église entre la terre et le ciel, le molokane la rejette avec dédain, prétendant s’élever à Dieu par ses propres forces. Il supprime les sacremens ou ne les entend que d’une manière allégorique. Selon lui, le baptême de l’eau est sans vertu ; ce qu’il faut au chrétien, ce n’est pas l’eau matérielle, mais l’eau vivante, la parole divine. La pénitence consiste dans le repentir ; le chrétien spirituel se confesse à Dieu ou à ses frères, selon le précepte de saint Paul. La vraie communion du corps et du sang du Christ, c’est la lecture et la méditation de sa parole. S’ils mangent le pain en commun, en souvenir du Sauveur, les buveurs de lait ne voient là aucun mystère. De même, ce qui, pour eux, fait le mariage, ce n’est pas la cérémonie, mais l’amour et le bon accord des époux. Pour leurs noces, ils se contentent de la bénédiction de leurs parens.

Le culte des doukhobortses et des molokanes est facile à connaître ; l’origine des deux sectes est obscure. Ces réformés russes semblent procéder indirectement de Luther et de Calvin. Les étrangers, si nombreux en Russie depuis et même avant Pierre le Grand, y apportaient, pour ainsi dire, des semences d’hérésie à la semelle de leurs chaussures. Aux sectes rationalistes nées dans le sud-ouest de l’empire, aux confins de l’Europe, on s’est complu à chercher des antécédens russes ou slaves. Les molokanes font remonter leur apparition en Russie jusqu’aux derniers Rurikovitch. Selon quelques historiens, ils auraient pour ancêtres les hérétiques ou libres penseurs moscovites du XVIe siècle, notamment un certain Bachkine, condamné à Moscou en 1555[1]. Ce n’est toutefois qu’au

  1. Kostomarof, Otetch. Zapiski, mars 1869. Novitsky, Doukhobortsy, ikk istoriia i vérooutchenié. Kief, 2e édit. 1882. — Cf. Vestnik Evropy ; Rousskie Ratsionalisty, février 1881.