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dédain de l’élégance que le maître n’a jamais pratiqués ailleurs. C’est, il me semble, le seul souvenir que l’on retrouve chez lui de son ami Velasquez.

Veut-on maintenant des exemples de réalisme dans quelques sujets évangéliques traités avec plus de chaleur et d’éclat ? Voici, au Prado encore, une Adoration des bergers qui dépasse de très haut celles de Ribera et de Zurbaran. Comme le Corrège, et sans l’avoir jamais vu, Murillo a eu l’ingénieuse idée d’éclairer toute cette scène nocturne par le seul rayonnement mystique du corps de l’Enfant-Dieu. Ceci n’est point réaliste, dira-t-on : mais, ce qui l’est bien, c’est le groupe des pâtres qui viennent adorer l’enfant. Jamais la naïveté rustique n’a été mieux prise sur le fait, et l’artiste n’a même pas voulu embellir la mère de Dieu ; il l’a traitée, elle aussi, en simple paysanne. Et, plus loin, qu’est-ce donc que cette petite fille, jolie, mutine et même un peu coquette, avec ses longs cheveux dénoués et un nœud de ruban à l’andalouse sur le côté ? Elle lit en souriant un livre que lui présente une bonne femme assise devant elle. Celle-ci nous représente la femme de Murillo, Béatrix de Sotomayor, et l’enfant est sa fille. Mais un groupe de chérubins dans le haut, portant une couronne de roses, nous avertit qu’il s’agit aussi de l’Éducation de la Sainte Vierge ! Murillo n’a jamais compris autrement la peinture biblique. Tandis que les Italiens et les Flamands n’abordent les sujets de l’ancien ou du Nouveau-Testament que pour en tirer des compositions savantes ou magnifiques, des merveilles de dessin ou de couleur, Murillo, sans jamais négliger l’ordonnance, où il ne le cède à personne pour la justesse et l’harmonie, cherche surtout à faire vrai. Non-seulement ses personnages de l’ordre héroïque ou de l’ordre surnaturel sont simples et humains, mais il les entoure de petites scènes naïves, familières, charmantes, qu’il excelle à peindre et qui sont l’expression la plus juste de la réalité. Car, à moins d’émotions violentes, les hommes rassemblés, les gens du peuple surtout, ne ressemblent pas à une figuration de théâtre.

Et puis le charme particulier du naturalisme de Murillo, c’est qu’il vient du cœur. L’artiste ne regarde pas seulement le peuple en curieux, en observateur ; il aime visiblement ces classes misérables où il est né. Dans son observation, on saisit une sympathie qui n’est cependant point trop mélancolique. Son thème favori, c’est l’insouciance dans la misère : et nous en avons justement au Louvre la première expression dans ce petit mendiant qui s’épouille au fond de sa misérable niche. Ne regardez pas à la valeur très discutable du tableau, à sa composition ni à sa facture indécises, timides, pleines de défauts. C’est une œuvre des premières années, après le retour de Madrid, et elle n’en est que plus précieuse, nous