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Verrochio ; aucun ne reflète dans ses premiers chefs-d’œuvre les traditions et les exemples du maître qui lui a appris à manier la brosse. Et, pareillement, aucun ne fonde une école durable. Bien qu’ils vivent tous dans le même temps et qu’ils se rencontrent, Ribera est le seul d’entre eux qui exerce sur les autres une influence plus ou moins passagère. Ils diffèrent par le style et par la note de l’inspiration, comme par les méthodes. Celui-ci est plutôt dessinateur et ceux-là coloristes. Ils n’ont vraiment de commun qu’un seul trait caractéristique, l’amour irrésistible du naturel, de l’expression naïve ou de la vérité brutale. Mais, en dépit de cet air de famille, si profonde est leur différence de physionomie et de procédés techniques qu’on ose à peine employer le terme « d’école espagnole. » Et, toute distinction de rang étant ici purement arbitraire, la seule marche à suivre pour parler de ces grands artistes est de s’en tenir à l’ordre chronologique de leur naissance.

Joseph Ribera apparaît le premier et, si connu qu’il soit, il en faut parler, parce qu’il a été un fâcheux modèle pour ses contemporains, et que, pourtant, il en reste un très digne d’étude dans ses bonnes parties. Entré tout enfant, à Valence, chez un excellent peintre, François Ribalta, l’impétueux artiste s’enfuit, à seize ans, à Rome, et là, misérable, souffrant la faim, il travailla avec rage, cherchant des voies nouvelles. Il commence par étudier les Carrache, qu’il devait si furieusement combattre plus tard. Attiré à Parme, il se prend d’amour, — qui le croirait ? — pour le suave et tendre Corrège. Son charmant tableau l’Échelle de Jacob, au Prado, reste le souvenir de cette passion éphémère dont les traces fécondes reparaîtront dans la suite. Mais il voit Michel-Ange de Caravage, et cette fois sa route est fixée : ce sont deux frères qui se sont rencontrés.

Un homme, en effet, était apparu en Italie juste à point pour aider de son souffle puissant à l’éclosion du grand art espagnol. Je ne veux certes pas dire que sans lui cet art ne fût pas venu au monde, ni même qu’il n’eût pas jeté autant d’éclat, mais les exemples et l’autorité d’Amerighi ont exercé une influence si décisive sur Ribera et Zurbaran, et Velasquez lui-même paraît en avoir fait tant de cas, qu’il faut bien saluer au passage l’unique ancêtre des grands Espagnols. Entre eux et lui, la parenté est manifeste, et s’ils avaient eu besoin de les demander à quelqu’un, ils auraient trouvé chez lui leurs principaux caractères. Naturaliste, il l’est avant eux. Il a les mêmes antipathies et les mêmes tendances, c’est-à-dire la même horreur de l’art factice et la même passion du vrai, quoiqu’il ne l’ait pas toujours aussi vivement exprimée. Bref, il est de leur famille, et l’on ne peut moins faire que de rattacher à une étude de l’art espagnol l’esquisse de