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s’efforcent de fonder une irréligion municipale ; ils réclament et s’adjugent des monopoles avec l’inconscience de M. Jourdain faisant de la prose, et n’ont pas assez d’imprécations contre l’octroi, contre les privilèges restreints dont jouissent la compagnie du gaz et les omnibus[1]. L’octroi, ce principal personnage du budget qui, à lui tout seul, fournit 137 millions ! La compagnie du-gaz qui paie une redevance de 18,525,000 francs ; les omnibus qui versent aussi une somme fort respectable ! « Trouvez-moi une vertu qui rapporte autant, » répliquait Napoléon Ier à un adversaire de l’impôt sur le tabac, taxé par lui d’immoral. L’octroi remonte très loin et il a la vie dure : l’impécuniosité, comme disaient nos aïeux, le besoin d’argent a fait sa légitimité. Justin d’Alexandrie raconte qu’un prêtre, dont l’agent du Portorium voulait fouiller le bagage, répondit : « Je ne porte avec moi que quatre choses : la foi, la piété, la justice et la continence, » et que cet employé trop zélé prétendait absolument voir ces singuliers articles d’exportation, bien qu’ils ne figurassent point parmi les marchandises sujettes à la taxe. Il s’est perpétué à travers les âges ; la révolution le supprima en 1790, mais il fallut le rétablir en l’an vu sous le titre modeste d’octroi de bienfaisance ; depuis il a résisté à tous nos bouleversemens politiques, même à la commune.

Quant au gaz, nous le payons assurément trop cher, 0 fr. 30 le mètre cube, tandis, qu’à vienne, Londres, Berlin, Bruxelles, Amsterdam, il coûte 0 fr. 15 à 0 fr. 25, tandis qu’à Bordeaux, la compagnie, qui est très florissante, le vend 0 fr. 22 aux particuliers et 0 fr. 05 à la ville qui, à la fin de la concession, devient propriétaire des immeubles et du matériel. Les consommateurs parisiens ont mille fois raison de se plaindre, et la compagnie du gaz n’est pas exempte de tout reproche, car elle a offert tardivement des concessions raisonnables, alors que, plus coupable encore, le conseil écartait inflexiblement toute transaction, voulait plaider et perdait. Un peu de diplomatie combinée avec les droits d’ingérence et de tutelle qu’il conserve vis-à-vis de la compagnie eût aplani les difficultés et ménagé une solution satisfaisante ; mais le mot de monopole suffit à l’exaspérer, il voit rouge quand on le prononce devant lui, estime qu’en dehors de la régie municipale il n’y a point de salut. La ville faisant elle-même les marchés de charbon pour fabriquer le gaz, choisissant les chevaux qui traînent les omnibus, recrutant les chefs de service, les innombrables employés nécessaires à ces

  1. Voir l’excellente brochure de M. Ernest Brelay sur l’octroi, et les remarquables études de MM. Jules Simon, Maxime Du Camp, Denys Cochin, Lavollée, Edouard Hervé sur le gaz, le laboratoire municipal, le métropolitain, les fortifications et la politique scolaire du conseil municipal.