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dramatique, et aussi par le fond psychologique. Comme dans les Huguenots, l’amour ici se complique d’un autre sentiment : la crainte ; mais crainte différente, et, pour ainsi dire, toute spirituelle. Encore un duo menacé, mais d’une catastrophe toute morale : le bonheur seul y est en jeu, non la vie. Là, Valentine essayait de sauver Raoul ; ici, l’homme a repris son rôle de défenseur : Lohengrin veut sauver Elsa d’elle-même. Lohengrin est la force, une force surnaturelle, presque divine ; Elsa n’est que faiblesse, la faiblesse féminine, imprudente et punie.

Notons l’admirable gradation du duo, la progression allant jusqu’à l’extrême, de deux sentimens inverses : l’anxieuse curiosité d’Elsa, la tendresse passionnée de Lohengrin. Le début seul est calme, les deux époux échangent des phrases pareilles, également tendres, également sereines. On ne rencontre plus ensuite dans le cours rapide de la scène qu’une seule halte, la cantilène de Lohengrin s’efforçant de rassurer Elsa, de détourner la question menaçante. Superbe phrase de musique et charmant couplet de poésie ! « Ne respires-tu pas avec moi ces doux parfums ? Mystérieux, ils viennent à travers les airs. Sans les interroger, je m’abandonne à leur influence. Pareil est le charme qui m’a lié à toi quand je te vis pour la première fois. » Sans reproche, mais déjà avec un peu d’étonnement, Lohengrin rappelle à Elsa sa propre discrétion, son intervention pour elle, sans la connaître et sans l’interroger. Il réclame d’elle en retour la même confiance et le même abandon. Plus la voix d’Elsa se fait insinuante, plus celle de Lohengrin se fait amoureuse. A chaque question nouvelle, l’époux ne répond que par une nouvelle caresse.

L’inquiétude d’Elsa redouble, son doute s’irrite. Lohengrin se débat contre l’approche de la demande fatale. Il se défend, lui qui sait le péril de la science, souvent mortelle au bonheur. Mais le délire de la curiosité l’emporte. Sourde aux reproches du héros, aux glorieuses marques qu’il rappelle de sa noblesse, presque de sa divinité, aveugle au rayonnement qui jaillit de cette musique comme d’un foyer de lumière, la jeune femme croit entendre des battemens d’aile : le cygne va revenir et lui reprendre son époux. Le duo atteint ici à son apogée. Éperdue, hors d’elle-même, Elsa lance enfin la question funeste. Le traître paraît ; Lohengrin n’a que le temps de saisir son glaive et d’abattre le misérable. Tout s’écroule aussitôt… et le reste, comme dit Hamlet, le reste, c’est le silence. Dans le lointain passe un lugubre frisson de timbales, un chant presque imperceptible de violoncelles ; une clarinette désolée redit, sans même l’achever, la première phrase du duo… Nessum maggior dolore. Rien de plus navrant que cette ruine soudaine et qu’on sent irréparable. Telle ne sera pas la fin du duo de Faust, qui