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à l’orchestre, un murmure continu, un bourdonnement de basses en pizzicati, d’où se détache, non pas une phrase, mais un appel, une invite à l’amour. Cette bénédiction grandiose nous rappelle une autre bénédiction, chef-d’œuvre aussi de Meyerbeer, un autre hymen, consacré celui-là, non pas sous le soleil d’Afrique, et par un pontife à la tiare d’or, mais par un vieux serviteur cuirassé de buffle, la nuit, à la lueur des arquebusades, dans un carrefour de Paris ensanglanté. Comme le brahmine, Marcel bénit les époux, mais il leur parle d’un autre amour ; les paroles nuptiales sont autrement austères, et les seules joies promises sont celles de la mort. Le choral luthérien contraste avec cet épithalame tout frissonnant de volupté grandiose, mais de réelle volupté, avec cette phrase ardente du prêtre : Si tu veux posséder le trésor que Brahma rend à nos vœux, qui montre si belle la noire épousée, nigra sed formosa. Le cortège des vierges s’éloigne ; la nuit tombe, et les grandes fleurs répandent leurs parfums à pleins calices. Bien que troublée, haletante, Sélika ne veut tenir son bonheur que de Vasco lui-même ; elle ne veut ni le dérober, ni le surprendre. Elle montre au jeune homme le navire, qu’il peut rejoindre encore. « Tu peux partir, dit-elle. — Je le sais,.. je le sais, » répond Vasco d’une voix toujours moins assurée. Les noms des dieux hindous retentissent de nouveau derrière les palmiers. On entend le peuple qui appelle les faveurs divines sur le royal hyménée. La patrie de Sélika, sa terre natale, les étoiles de son ciel, la brise de ses jardins, tout conspire pour elle et vient en aide à son amour. Vasco ne résiste plus ; il perd la raison. Sélika reste plus maîtresse d’elle-même : en vraie fille de Meyerbeer, c’est avec son âme surtout qu’elle aime et qu’elle aimera jusqu’à la mort celui qui ne l’aime qu’avec ses sens, qui passe par toutes les phases du désir, mais du désir seulement. Il languissait tout à l’heure, énervé, écrasé par des voluptés trop fortes, maintenant il s’exalte et s’enflamme. Il prodigue les sermens éternels. Moins sensible aux enchantemens du ciel natal, aux ardeurs de son soleil, mal assurée d’une foi déjà jurée et parjurée, Sélika doute encore, et ce n’est que devant la promesse, devant l’affirmation de l’hymen accepté pour toujours, ce n’est qu’en entendant l’adorable aveu de Vasco prosterné, qu’elle pousse enfin un cri de joie, presque de triomphe sauvage. Alors quel délire ! La phrase : « transport ! délicieuse extase ! est un peu vulgaire, trop chaude peut-être d’une ardeur presque toute physique, surtout si on la compare à la phrase des Huguenots : Oui, tu l’as dit ; mais il faut songer qu’on ne s’aime pas de même ici, et qu’il s’agit d’étreintes où le sang a plus de part que l’âme. Voici d’ailleurs une autre phrase où l’amour s’idéalise et prend des ailes : O ma Sélika, vous régnez sur mon âme ! Comment la pauvre